Au moment où l’administration pénitentiaire fulmine et s’agite avec les recommandations du Conseil de l’Europe sur la « probation » (l’exécution des peines dans la collectivité qui ne se résume pas au contrôle, dixit la règle 1), elle ignore derrière ses études statistiques flatteuses l’impact désastreux du développement anarchique de la surveillance électronique.
Cette solution « miracle », économiquement rentable à court terme mais qui dévore ce qui reste de maigres « ressources humaines » dans les services en intensifiant considérablement le travail des personnels (sans pour autant réduire la surpopulation carcérale …), est bel est bien en train de devenir une alternative aux libertés et de conduire au néant toute réflexion sur la portée et la valeur ajoutée des actes professionnels.
Sur les terrains de la DISP de Lille, le constat est partout le même :
la gestion des alarmes et des changements d’horaires d’assignation sont particulièrement
chronophages et appauvrissent considérablement le sens de notre métier, quand les moyens et le temps alloués aux suivis des mesures probatoires (SME, STIG …) sont de plus en plus réduits
les horaires d’assignation sont particulièrement restrictifs, très souvent inadaptés aux besoins des personnes condamnées et nuisibles aux relations avec l’entourage familial, le PSE étant encore trop souvent considéré comme un « régime de faveur » quand il s’agit d’un aménagement de peine de plein droit
les procédures d’octroi des réductions de peine sont partout très opaques, difficilement lisibles par les condamnés et les professionnels, et ne prennent pas en compte de manière
satisfaisante le parcours et les problématiques des condamnés
le nombre de placements connaît une croissance à deux chiffres quand le nombre de
libérations conditionnelles et de placements extérieurs prononcés continuent leur
décroissance. Hors, ces modalités d’aménagement de peine sont les plus à même de favoriser la réinsertion sociale des condamnés, de répondre par un accompagnement adapté à des problématiques toujours plus nombreuses peu compatibles avec l’enfermement à domicile, et de préparer de façon individualisée le retour à la vie libre
on mesure aujourd’hui à quel point la « réforme pénale » a manqué d’ambition, en ne
supprimant pas définitivement les seuils d’aménagement de peine et en inventant un hybride entre la NPAP et la SEFIP à défaut du courage politique de faire de la libération conditionnelle l’aménagement de peine de référence. Le PSE génère des situations intenables sur des périodes d’assignation de plus en plus longues (jusqu’à 2 ans !!!), et devient progressivement la nouvelle norme en matière pénale pour des délits qui n’auraient certainement pas valu le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme il y a encore quelques années …
L’hypocrisie qui consiste à étendre au milieu ouvert le modèle disciplinaire des établissements pénitentiaires et ses effets pervers, bien loin de l’ambition proclamée d’en finir avec l’emprisonnement comme peine référence et de substituer à la « pénitence »
l’ « amendement », n’a que trop duré !!! A réduire de façon caricaturale le travail des professionnels à une surveillance stérile et généralisée de la population pénale sans autre accompagnement que d’accumuler de la paperasse dans des dossiers, il ne faudra pas venir s’étonner demain de la privatisation de la « probation » et de la fin de toute perspective professionnelle pour les personnels des SPIP réduits à de simples exécutants …
La Cgt a toujours mis en garde contre cette tendance qui ne peut que conduire à
l’appauvrissement de nos métiers et à l’extension sans fin du filet pénal. Il est grand temps quele ministère et l’administration prennent enfin en compte la réalité de la situation des terrainset impulsent une véritable réflexion sur ce sujet. Pour La Cgt, il est urgent et incontournable :
que le Ministère ouvre le robinet des financements de places de placements extérieurs et des budgets d’insertion dévolus aux SPIP plutôt que de les dilapider dans l’extension du parc
carcéral, et que l’administration se dote des outils de gestion nécessaires pour une répartition des budgets répondant aux réels besoins de prise en charge des condamnés
que les questions déontologiques soulevées par le PSE fassent l’objet d’une réflexion
approfondie, notamment autour de la règle 58 des REP
qu’une discussion s’engage entre les autorités pénitentiaire et les magistrats pour enfin fixer une politique en matière d’horaires d’assignation qui permette la mise en place de projets d’exécution de peine réellement individualisés prenant en compte la diversité des
problématiques. Le PSE doit redevenir un aménagement de peine à part entière, prenant en
compte les réalités, les besoins et contraintes de la vie sociale et familiale. Il est également
indispensable de garantir à minima une équité de traitement des personnes condamnées sur l’ensemble du territoire en ne réduisant l’assignation à domicile à un régime de détention
qu’une réelle « pluridisciplinarité » se mette en place au sein des SPIP pour mieux prendre en compte les parcours des condamnés au-delà de la seule gestion des « incidents ». Cela pourrait passer par l’instauration de commissions d’application des peines en milieu ouvert favorisant les échanges sur les parcours, et offrant les espaces à même d’encourager les projets de libérations conditionnelles pour les « longues peines » sous PSE
que la place des surveillants PSE, encore réduits par endroits au rôle d’« hommes à tout
faire », soit enfin réellement prise en compte par la reconnaissance de la spécificité de leur
travail et la garantie d’un déroulement de carrière en SPIP, en introduisant un examen
professionnel sur le modèle des formateurs et des moniteurs de sport pour leur recrutement.
Ce n’est pas en essayant de vider les prisons en étendant la surveillance au détriment de
l’accompagnement, et accessoirement en enrichissant les sociétés de sécurité privées quand les services de l’Etat, des collectivités territoriales et le tissu associatif crèvent de la réduction drastique de leurs financements, que l’on va répondre aux enjeux de société de demain.
La réponse aux phénomènes de délinquance est avant tout sociétale, et ce n’est pas
en multipliant les bracelets électroniques comme des petits pains que l’on assistera à
un miracle !!!
Il est grand temps de ranger l’ancien testament dans un placard, d’en finir
résolument avec l’emprisonnement comme peine de référence, de tourner la
page des politiques sécuritaires héritées du renoncement et du délitement des
solidarités imposés par l’idéologie libérale triomphante …
… pour se donner enfin les moyens humains, budgétaires et législatifs de
cette « Justice » digne « du 21ème siècle » si chère à Madame Taubira.
Coordination régionale SPIP – DISP de Lille Creil, le 27 mars 2015