En pleine mobilisation au sein des Services Pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), le 30 mai 2016, la Cour des comptes rendait public un référé qui dénonçait des faiblesses dans la prise en charge et le suivi par l’administration pénitentiaire des majeurs condamnés. Il est important pour la CGT insertion probation d’en faire sa propre analyse d’autant que la rentrée sera aussi celle où les questions soulevées par la Cour des Comptes seront d’actualité : ouverture des négociations pour un meilleur statut des personnels d’insertion et de probation, élaboration d’organigrammes, mais également l’expérimentation des outils d’évaluation au sein des SPIP et aboutissement du référentiel de pratiques opérationnelles dans un contexte où les surenchères politiciennes et sécuritaires font recette et où les peurs des citoyens sont instrumentalisées pour justifier un état d’urgence permanent.
Version imprimable Analyse CGT Cour des comptes
Quand la cour des Comptes interpelle le garde des sceaux on croirait presque lire un tract de la CGT. Ainsi, sont pointés du doigt les efforts à fournir au niveau du recrutement et de la formation, l’absence d’organisations de service, l’absence de répartition des personnes condamnées par type de mesures entraînant le morcellement des prises en charge, la nécessaire qualité de la coordination entre les Services pénitentiaires d’insertion et de Probation avec les partenaires (institutionnels, judiciaires et de droit commun !), le manque de fiabilité des données APPI Infocentre, le manque de visibilité et de lisibilité des SPIP vis-à-vis des autres acteurs institutionnels, le manque de professionnalisation des Programmes de Prévention de la Récidive, le manque d’opérationnalité des aménagements de peine… En revanche les recommandations de cette même cour sont souvent déconnectées de la réalité et ne prennent pas forcément en compte les mêmes objectifs de qualité du service public que la CGT et retient davantage celui de la rentabilité !
Les réponses apportées par le Garde des sceaux ne concernent pas l’ensemble des observations mais uniquement les 5 recommandations faites par la Cour des Comptes.
Concernant le pilotage et l’organisation des services
La recommandation n°1 de la Cour « définir des outils de mesure de la charge de travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation à partir de référentiels précis et procéder, sur cette base, à une meilleure allocation des moyens, tant en personnels de probation qu’en personnels administratifs » pose non seulement la question de la mesure des charges de travail mais aussi celle des référentiels. Mesurer les charges de travail c’est être capable de définir le nombre de mesures dont chaque agent a la charge et prendre en compte l’ensemble des démarches découlant d’une prise en charge globale de la personne suivie. Cela rejoint la question des organigrammes revendiqués depuis de nombreuses années par la CGT.
La Cour évoque les effectifs en personnels administratifs, la CGT partage cette nécessité d’adapter les effectifs de personnels administratifs aux charges de travail qui se sont également multipliées et diversifiées pour ces personnels.
La question de ces référentiels se heurte également à la réalité des terrains et aux charges de travail. Ainsi par exemple le manuel de contrainte pénale en est la parfaite illustration en ce qu’il pourrait constituer le suivi « idéal ».
Le faible prononcé de cette mesure rend pour le moment ce manuel plus que théorique et la CGT insertion probation fait l’amer constat qu’aujourd’hui les services sont dans l’incapacité d’assurer la prise en charge d’un grand nombre de contraintes pénales, sans lui ôter tout son sens de mesure idoine et personnalisée. En effet, pour la CGT, la mesure de contrainte pénale, si elle veut atteindre son objectif d’accompagnement personnalisé et de déflation pénale, doit devenir la peine de référence et venir remplacer le sursis avec mise à l’épreuve.
Cependant, les référentiels dont il est question ne peuvent se concevoir qu’en étant accompagnés d’un recrutement massif qui permettrait d’atteindre le ratio de 60 personnes suivies comme préconisé par le Conseil de l’Europe.
De plus, le Garde des Sceaux voit dans l’infocentre APPI une réponse possible aux errements de la DAP en termes de statistiques… quand nous connaissons les lacunes de ce logiciel et le manque de fiabilité des données nous ne pouvons que nous inquiéter des résultats qui pourraient être récoltés et retenus. D’autant que ces données seront utilisées pour élaborer le « référentiel dédié à l’organisation et au fonctionnement des services » !!!
La recommandation n°2 « adapter les implantations territoriales (SPIP, antennes) aux contextes locaux et aux caractéristiques de la population à suivre, en fonction de critères à définir, à partir d’un bilan de fonctionnement des permanences décentralisées, et réduire le nombre d’implantations administratives de certains SPIP » vise la fusion de certaines antennes SPIP de trop petite taille, une trentaine de sites comprenant moins de 5 agents sont dans le viseur de la Cour.
Pour la CGT, la justice de proximité doit être privilégiée à la notion de rentabilité, nous rappellerons qu’un service public ne peut pas être considéré comme une entreprise privée selon des critères uniquement comptables. D’ailleurs à bien y réfléchir, une antenne avec seulement 5 agents, c’est un service qui assure le suivi de 500 à 600 PPSMJ (voire davantage), 500 à 600 justiciables donc… et si on applique les « quotas » du conseil de l’Europe c’est plutôt des services qui devraient comprendre a minima 10 CPIP, non ? Auxquels il faut ajouter des personnels administratifs et éventuellement des cadres !? Donc en réalité la Cour des Comptes met sur la sellette des services qui devraient compter une quinzaine de personnes… ?
Si nous partageons l’analyse selon laquelle les organisations de service doivent être travaillées, ce n’est pas en les standardisant que l’on apportera une réponse efficace. Les spécificités en terme de partenariat, de bassin d’emploi, de critères socio démographiques… doivent justifier des organisations de service adaptées et il faut se garder de vouloir trouver « un socle d’indicateurs identiques à tous les SPIP » et définir un « référentiel dédié à l’organisation et au fonctionnement de ces services » qui ne laissent aucune marge de manoeuvre.
Les Référentiels des Pratiques Opérationnelles en cours d’élaboration doivent prendre en compte les réalités des terrains et cesser de constituer une vitrine flamboyante dénuée de toute réalité pratique.
La Cour des Comptes fait référence aux permanences délocalisées. Il est impératif de rappeler que certains lieux de permanences ont été désertés en raison de la fin de la prise en charge de certains frais de déplacements des professionnels par l’administration et de l’absence de véhicules de services permettant de se rendre sur ces lieux malgré la volonté des travailleurs sociaux de maintenir ce lien de proximité avec les justiciables.
Concernant les méthodes d’intervention des SPIP
La recommandation n°3 tend à «harmoniser et consolider les méthodes d’évaluation des personnes condamnées et appliquer à ces dernières un plan de suivi individuel adossé à des critères objectifs ». L’évaluation scientifique sinon rien… c’est le crédo de la DAP mais uniquement tirée des outils actuariels ou comment déterminer des risques de récidive fort ou faible avec des erreurs… Nous renvoyons à quelques études dénonçant l’inefficacité de ces grilles voire à ses dangers (La rationalisation des méthodes d’évaluation des risques de récidive Entre promotion institutionnelle, réticences professionnelles et prudence interprétative Émilie Dubourg et Virginie Gautron)
Les outils expérimentés sont tous orientés sur la gestion du risque… L’honnêteté intellectuelle aurait voulu que la direction de l’administration pénitentiaire aille piocher dans l’ensemble des recherches et disciplines, ce qu’elle n’a pas fait. De plus l’expérimentation PREVA, dont le rapport final a été rendu récemment, nous questionne fortement sur ses conclusions qui viennent davantage cautionner un marché juteux plutôt que prendre en compte les résultats d’une véritable démarche de recherche. Ainsi tous les outils n’ont pas été pleinement expérimentés et pire les remontées des professionnels ne sont pas prises en compte ou de façon parcellaire. Mais l’objectif pour la DAP est de rendre rapidement lisible et quantifiable ce que font les SPIP… mais faut-il rappeler que les mêmes outils ne peuvent à la fois évaluer une personne prise en charge (d’ailleurs que doit-on évaluer ? ) et évaluer l’activité d’un service. L’administration fait dans la confusion…
Malgré l’échec du DAVC, l’administration continue de ne pas entendre les remontées des terrains et la réticence des personnels à utiliser des outils inadaptés qui n’apportent rien à leur analyse. La volonté de donner une base scientifique à ce que font les CPIP rime trop souvent avec la négation des savoirs faire des personnels mais aussi de la qualité du travail accompli depuis plusieurs décennies. L’administration n’a pas su trouver les moyens d’analyser l’activité des services.
Si, aujourd’hui les travailleurs sociaux peinent à accomplir pleinement leurs missions c’est davantage en raison des mauvaises organisations des services reposant sur un manque d’effectifs que sur l’absence de méthodologie ! Les méthodologies du travail social ont fait leurs preuves même si à l’origine elles se sont imposées de manière empirique. Il appartient à l’administration pénitentiaire de ne pas se tromper sur les missions des SPIP, la règle n°1 des REP édicte « Les services de probation ont pour but de réduire la commission de nouvelles infractions en établissant des relations positives avec les auteurs d’infraction afin d’assurer le suivi,( y compris le contrôle, le cas échéant) de les guider et de les assister pour favoriser la réussite de leur insertion sociale ». La CGT continue de marteler que le rôle des travailleurs sociaux est d’aider et d’accompagner les personnes dans un démarche d’inclusion sociale qui permettra dans un second temps de limiter la réitération.
La recommandation 4 s’oriente vers « une meilleure coordination entre les acteurs judiciaires et les acteurs de la prise en charge afin que cette dernière soit ininterrompue, notamment dans le cas des suivis socio-judiciaires, et tout particulièrement lors des sorties de détention ou lorsque la personne condamnée déménage ». La continuité de la prise en charge et la cohérence est la base d’une prise en charge de qualité.
Le travail partenarial avec les services d’application des Peines est nécessairement à améliorer. Le lien privilégié entre le Juge de l’application des peines et les travailleurs sociaux doit perdurer et être facilité par la hiérarchie des SPIP. Il appartient également à la direction des SPIP d’assurer un cadre de travail pérenne et concerté aux équipes de travail. L’insuffisance de moyens humains doit être pointée comme responsable de la rupture de continuité de prise en charge, il est impossible pour les SPIP et les SAP de faire face à l’accroissement de l’activité et à la multiplication des tâches.
La continuité de la prise en charge et la qualité de l’accompagnement doivent également être appréciés au regard du réseau partenarial et il s’agit là de mettre en place et entretenir un réseau foisonnant. Il apparait important de rappeler que les travailleurs sociaux ont un rôle prépondérant à jouer dans l’établissement et le maintien d’un partenariat de qualité.
Ce que met en avant la Cour des Comptes au sein du service public c’est la qualité du service rendu pour l’usager, la CGT partage ce point de vue. Les liens entre les services de droit commun et le travail interministériel dans le cadre des politiques publiques est, nous le savons bien, un élément déterminant dans la qualité de l’accompagnement social que nous devons assurer à notre public. Il est important que l’administration investisse ce champ.
La recommandation 5 vise « à identifier et rationaliser l’implantation des places de semi-liberté. » Il conviendrait plutôt de s’interroger sur l’essor démentiel du Placement sous surveillance électronique au détriment de la semi-liberté ou du placement extérieur. Si les conditions et les exigences pour bénéficier de ces aménagements de peine sont les mêmes il faut regarder du côté du coût de ces mesures (15 euros un PSE contre 60 euros un PE… contre 100 euros une journée de détention) et surtout de l’existence d’un véritable marché financier du PSE. Le PSE constitue une véritable variable d’ajustement de la population carcérale sans avoir à bouger la moindre ligne d’une politique pénale indigeste et intransigeante.
La question est effectivement bien plus large et ne se limite pas à la question des aménagements de peine.
Elle est celle d’une politique pénale en cohérence avec la société et qui se positionne réellement sur le sens de la peine.
C’est bien là que nous attendons le garde des sceaux, sur une politique pénale plus humaniste et progressiste faisant de l’enfermement la mesure ultime et rendant aux aménagements de peine tout leur sens.
Il devient impératif de s’interroger aujourd’hui sur le sens de la peine et l’objectif recherché.
Montreuil, le 6 septembre 2016