Depuis des semaines, l’ensemble des personnels d’insertion et de probation est mobilisé dans tous les SPIP. Les personnels luttent et amplifient le mouvement et se sont donnés rendez-vous pour une grande manifestation nationale intersyndicale à Paris le 10 mai.
Même si le sujet du régime juridique des permissions de sortir (PS) dépasse les enjeux des personnels de la filière insertion probation, pour la CGT insertion probation, il est hors de question de se rendre à la réunion préparatoire prévue ce jour pour aller discuter d’un texte avec l’administration en faisant mine que rien ne se passe dans les SPIP ! Ce projet de décret fera d’ailleurs l’objet d’un prochain examen en Comité technique SPIP.
Pour autant, au vu de l’importance des questions que ce projet de décret recouvre il est également hors de question pour la CGT de ne pas s’exprimer sur ce sujet : sujet d’importance pour les travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement des personnes détenues et sujet tout autant d’importance pour les personnes détenues qui, risquent de voir leurs droits restreints par un texte d’affichage politique.
Version imprimable communiqué permission de sortir
Pour rappel, le premier ministre a saisi l’occasion d’un sordide fait divers pour venir durcir les conditions d’octroi des permissions de sortir et des autorisations sous escorte, répondant ainsi à la pression de l’opinion publique. C’est donc bel et bien dans un contexte politique sensible que l’exécutif est venu réglementer sur un sujet si important. Les risques de dérives sécuritaires sont toujours grands dans un tel contexte ! La CGT le craignait déjà et l’avait dénoncé au sein d’un communiqué du Collectif Liberté Egalité Justice Communiqué CLEJ du 14 octobre 2015 : ces craintes, malheureusement, se confirment !
Certes, la CGT ne peut que saluer une volonté de simplifier et de rendre plus lisible un régime juridique éparpillé aux contours parfois imprécis. Encore faut-il que cette volonté n’en cache pas une autre : une volonté, beaucoup inquiétante de restriction des droits des personnes détenues.
Une première version du projet de décret, bien plus restrictive, avait été présentée en janvier 2016 qui a été finalement retirée rapidement de l’ordre du jour, pour une raison inconnue ! Texte non finalisé ? Texte incohérent ? Texte trop répressif ? Nous ne le savons pas ! Ce qui est certain, c’est que l’administration présente désormais une version plus claire, rendant plus lisible le régime des permissions de sortir. Pour autant, la CGT insertion probation reste vigilante sur plusieurs points et dénonce fermement certains travers de ce projet de texte.
Pour aller plus loin : l’analyse de la CGT améliorations / dérives
Des améliorations notables :
- Dans la quasi-totalité du projet de texte, il est désormais précisé qu’il s’agit de personnes détenues ou personnes condamnées alors que ces personnes étaient auparavant désignées comme « détenus » ou « condamnés ». La CGT insertion probation salue cette avancée symbolique qui permet de remettre de la dignité là où il y en déjà si peu ! Il faudrait aller plus loin et effectuer ces modifications dans l’ensemble du Code de procédure pénale !
- Précision bien utile dans la pratique sur le quantum de la peine : le projet précise qu’il s’agit de personnes condamnées à une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée totale n’excédant pas 5 ans. Cette précision permet de clore le débat sur la possibilité de personnes détenues pour plusieurs peines inférieures à 5 ans mais dont le cumul est supérieur à 5 ans.
- Présentation plus claire du régime des permissions de sortir en vue de la réinsertion professionnelle ou sociale et des PS en vue du maintien des liens familiaux regroupées dans un sous-titre à l’article D-143 et suivants.
- Disposition nouvelle importante pour l’objectif de maintien des liens familiaux: ajout de la possibilité d’une permission de sortir exceptionnelle d’une durée de 3 jours à l’occasion de la naissance d’un enfant (ancien article D144 circonstance familiales graves).
Dérives sécuritaires
Retrait de permission de sortir :
Le texte prévoit la possibilité pour le JAP de retirer une permission en cours d’exécution en cas, et c’est la nouveauté inquiétante, « de mauvaise conduite » ou « lorsque le condamné ne satisfait pas aux obligations qui lui sont imposées ». Se pose dès lors la question de l’appréciation subjective de la mauvaise conduite qui induit des risques d’arbitraire et d’inégalités de traitement !
Permission de sortir et indigence :
Pour la CGT, c’est l’occasion de rappeler à quel point le texte actuel et ce projet de texte ne sont pas adaptés à la réalité des personnes détenues, souvent en situation de précarité : en effet il est prévu qu’ « aucune PS ne peut être accordée si une somme suffisante ne figure pas à la part disponible du condamné ou si la personne ne justifie pas de possibilités licites d’hébergement et de transport ». Quelle aberration ! Quid des permissions de sortir des personnes indigentes ? Quid de la possibilité de prise en charge par une association ou une aide du SPIP ?
Restriction des permissions de sortir d’une journée pour certaines formalités :
Dans ce projet de texte ont été supprimés trois cas ouvrant une PS d’une journée (ancien article D 143) : les formalités militaires, la convocation devant une juridiction judiciaire ou administrative et l’exercice du droit de vote. Cette surprenante suppression s’explique sans doute que ces trois cas sont implicitement ou explicitement inclus dans la catégorie des PS « en vue de l’accomplissement d’une obligation exigeant la présence du condamné ».
Cependant, et c’est dans cette sous partie, que les grands changements sont à déplorer, force est de constater que cela va dans le mauvais sens ! En effet, alors que dans les textes actuels, les permissions de sortir d’une journée en vue de la réinsertion professionnelle sont accordées sous seules conditions de délais et d’exécution des peines ; le projet de décret prévoir désormais le cas de permission de sortir en vue de l’accomplissement d’une obligation exigeant la présence du condamné.
Si la nouvelle version de ce projet est bien moins restrictive que la première qui exigeait que la personne détenue justifie dans sa demande de PS de l’impossibilité de réaliser cette obligation depuis ou au sein de l’établissement pénitentiaire (comment prouver une telle impossibilité ?), ce projet demeure un recul particulièrement inquiétant pour le droit des personnes détenues. En effet dans ce projet il est prévu qu’il s’agit d’une PS en vue d’une obligation nécessitant la présence de la personne condamnée « soit lorsque la personne ne peut être représentée auprès de l’organisme et ce dernier est dans l’impossibilité d’intervenir soit lorsque la personne est convoquée devant une juridiction et que les conditions de la visio-conférence ne sont pas réunies ».
Ce texte appelle plusieurs observations :
Tout d’abord comment est-il possible dans l’objectif d’une justice de qualité d’imposer à une personne détenue le principe de la visioconférence ? Cela porte atteinte au droit de tout justiciable à voir sa cause entendue de manière équitable et juste. Est-il possible d’imaginer, par exemple, d’imposer cette « mascarade » de justice pour un père détenu pour une audience aux affaires familiales concernant ses enfants ? N’est ce pas une atteinte à sa dignité ?
Ensuite, comment justifier de ces impossibilités, par exemple pour une démarche à faire auprès d’une ambassade ou la préfecture quand on sait que les personnes détenues et les travailleurs sociaux sont confrontés à l’absence de réponse de ce type d’organismes ?
Enfin, cette exigence de présence remet en cause la permission de sortir comme outil dans l’accompagnement des personnes détenues. Est-il nécessaire de rappeler que la PS permet à la personne détenue d’être acteur dans ses démarches et de favoriser son autonomie ? Est-il aussi nécessaire de rappeler que pour la CGT, la prison doit davantage s’ouvrir vers l’extérieur et que ce type de condition restrictive remet en cause également l’idée que les personnes détenues doivent avoir un égal accès au droit commun ?
Création d’une section consacrée aux autorisations sous escorte :
Certes, le contenu de ce projet n’ajoute aucune nouveauté aux dispositions actuelles sur les autorisations sous escorte. Mais la CGT dénonce ici une volonté politique d’affichage cédant aux sirènes sécuritaires voulant rappeler clairement au juge la possibilité de prononcer une autorisation sous escorte pour une personne détenue qui serait pourtant dans les conditions d’une permission de sortir ! Au-delà des contraintes matérielles rendant, on le sait, très souvent difficile la mise en place d’escorte, (faute de personnels en nombre suffisant), ce projet de texte va-t-il avoir comme conséquence de restreindre encore plus l’octroi de PS ? La CGT le craint déjà et l’on constate déjà une certaine frilosité dans certaines juridictions!!
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Ainsi, la CGT dénonce une fois de plus cet emballement règlementaire du pouvoir politique, pris sous la pression médiatique, risquant certainement de porter atteinte aux droits des personnes condamnées ainsi qu’aux missions des personnels qui les accompagnent en dénaturant un outil indispensable à la réinsertion sociale de notre public. Refuser de préparer la réinsertion des personnes condamnées pour faire de la prison une peine d’élimination sociale et vouloir priver presque 50 000 personnes condamnées du droit à bénéficier d’une permission de sortir et d’envisager un avenir en dehors de la prison est indigne d’un Etat de droit et d’une démocratie !
La CGT continuera de le marteler haut et fort !
Montreuil, le 13 avril