Cette semaine se tenait une commission de discipline pour le corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Alors que depuis plusieurs années, l’instance disciplinaire n’était que très exceptionnellement réunie, plus d’une dizaine de collègues seront concernés en l’espace d’un an.
A l’heure où la modernisation des garanties disciplinaires des agents dans la Fonction Publique est au cœur de l’actualité avec le projet de loi relatif à la déontologie aux droits et aux obligations des fonctionnaires, la CGT souhaite faire un point d’étape sur le sujet de la discipline et réaffirmer son socle revendicatif.
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La procédure disciplinaire doit être encadrée dans le temps !
Par des délais de prescription
Le projet de loi adopté à l’assemblée nationale le 7 octobre 2015 et qui doit être examiné prochainement par le Sénat (le calendrier n’est pas encore déterminé) introduit un délai maximum de 3 ans pour l’engagement d’une procédure disciplinaire. Il prévoit également que « passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l’encontre de l’agent avant l’expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d’une procédure disciplinaire ».
La CGT revendique un délai maximum de un an pour l’engagement de toute procédure disciplinaire à compter de la connaissance des faits, et une prescription de 5 ans. Des amendements en ce sens avaient d’ailleurs été adoptés à l’unanimité par les organisations syndicales lors du Conseil commun de la Fonction Publique en 2013.
Une situation d’incertitude prolongée est néfaste pour les agents et le fonctionnement des services. En droit public, aucun délai clair n’encadre le droit disciplinaire et le juge administratif n’a pu annuler des sanctions que de façon incidente en cas de délais non raisonnables. Ces prérogatives exorbitantes de l’administration ne doivent plus perdurer. Rappelons qu’en droit privé, le Code du Travail fixe un délai maximum de deux mois après la constatation des faits et en droit pénal, la prescription de l’action publique est d’un an pour les contraventions et de trois ans pour les délits.
Par un droit à l’oubli renforcé
Le projet de loi réduit également à deux ans au lieu de trois le délai d’effacement automatique d’un blâme du dossier administratif. Il étend aussi la possibilité de demander l’effacement à toutes les sanctions des deuxième et troisième groupes dans un délai de 10 ans. Jusqu’alors, la radiation des cadres ne pouvait ouvrir ce droit.
L’harmonisation des garanties disciplinaires sur les trois versants de la Fonction Publique doit se faire en faveur des agents et non pour les sanctionner davantage !
Par de véritables voies de recours
Il faut savoir que le juge administratif a étendu son contrôle sur la discipline depuis un arrêt du Conseil d’Etat du 13 novembre 2013. Il recherche ainsi « si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ». Cette évolution jurisprudentielle qui étend le contrôle du juge va dans le bon sens.
La CGT revendique pour la fonction publique d’Etat, qu’à l’instar de ce qui est prévu dans la fonction publique territoriale (FPT) et la fonction publique hospitalière (FPH), la décision des instances de recours s’imposent aux employeurs. A l’heure actuelle l’avis de la commission de recours du Conseil Supérieur de la Fonction Publique d’Etat peut ou non être suivi par les ministères. A ce stade, cette proposition n’a pas été reprise dans le projet de loi.
Par la fin des sanctions déguisées sous couvert de « service mal fait »
La CGT revendique également que l’illégalité de la retenue du trentième du salaire pour « service mal fait » soit actée pour les agents de la fonction publique d’Etat comme depuis 1982 le législateur l’a posé pour la FPT et la FPH. Nous ne connaissons que trop bien, dans nos services, cette menace du trentième pour museler la moindre contestation ou expression d’une revendication. Il est grand temps que cesse ce type de pratique !
Et non pas par la création de nouvelles sanctions !
Le projet de loi initial avait pour objectif d’harmoniser les garanties disciplinaires entre les trois versants de la Fonction Publique. Après un passage à l’assemblée nationale, cet objectif a abouti à une “harmonisation” des sanctions disciplinaires dans un sens répressif. Il a été ainsi rajouté dans les trois versants une sanction de premier groupe qui n’existe que dans la FPT : l’exclusion temporaire de fonctions de 3 jours maximum. Pour la CGT, ce rajout à côté de l’avertissement et du blâme est très défavorable aux agents qui pourront, sans passage en commission de discipline – donc en les privant d’un droit à la défense –, se voir infliger une exclusion de 3 jours !
La CGT revendique l’abrogation du statut spécial de l’administration pénitentiaire
Lors des débats à l’assemblée nationale le mois dernier sur le projet de loi relatif à la déontologie, aux droits et aux obligations des fonctionnaires, des amendements ayant trait au statut spécial des personnels pénitentiaires ont été examinés. Le gouvernement et la députée rapporteur de la commission des lois ont motivé le rejet de ces amendements non par l’absence de légitimité de ceux-ci, mais par la nécessité d’un débat au sein du ministère de la justice et d’un avis de la Garde des Sceaux.
L’un de ces amendements avait pour objectif de réintroduire des garanties disciplinaires ; il s’agissait ainsi de rétablir le principe du contradictoire ainsi que le droit élémentaire à une défense dans le respect de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. Rappelons le : seuls les personnels pénitentiaires peuvent se voir infliger des sanctions disciplinaires ou être révoqués sans passage en conseil de discipline « en cas d’acte collectif d’indiscipline caractérisée ou de cessation concertée du service ». Cette disposition est en effet, totalement archaïque, et prive les personnels de droits fondamentaux.
Plus largement, la CGT revendique depuis toujours l’abrogation du statut spécial qui prive les personnels du droit de grève et des garanties disciplinaires en cas de « contestation ». Il est grand temps que le statut spécial mis en place dans un contexte historique aujourd’hui totalement dépassé soit remis en cause.
La CGT poursuit l’interpellation des élus, afin que ses revendications soient prises en compte dans ce projet de loi. Elle prendra toutes les initiatives utiles pour que ce sujet soit rediscuté au plus vite s’il n’aboutit pas grâce à ce texte !
La CGT revendique l’abrogation du code de déontologie pénitentiaire
La discipline au sein de l’administration pénitentiaire s’appuie le plus souvent sur le code de déontologie pénitentiaire instauré en 2010. La CGT revendique l’abrogation de ce code de déontologie – qui n’en est pas un en réalité. En effet, loin des codes de déontologie comme celui des assistants de service social, des psychologues et des médecins, qui régissent des professions et constituent des guides pour les professionnels et leurs pratiques, le code de déontologie pénitentiaire ne fait que reprendre en grande partie les dispositions du statut spécial, et comporte de nombreuses atteintes au respect de la vie privée des professionnels.
Ainsi, ce code de déontologie prévoit que le fonctionnaire « ne se départit de sa dignité en aucune circonstance » et instaure un « devoir de moralité » basé sur des jugements de valeur à géométrie variable. Ce dernier permet de sanctionner un agent en cas de comportement, y compris dans sa vie privée, qui serait jugé par l’administration incompatible avec l’exercice de sa fonction. Cette obligation de dignité détonne singulièrement, car elle renvoie à des heures sombres de notre histoire (l’obligation de dignité avait été imposée par la loi en 1941 par le régime de Vichy et abrogé par ordonnance de 1945).
Rappelons que le Conseil d’Etat a enjoint l’administration de modifier une de ses dispositions, jugée comme disproportionnée au regard du respect du droit à la vie privée et familiale prévue à l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde Des droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Il a considéré que l’interdiction faite aux professionnels d’entretenir des relations avec des personnes « ayant été placées » sous main de justice, leurs parents et leurs amis, était disproportionnée en ce qu’elle constituait une « interdiction générale, de caractère absolu et sans limitation de durée ».
Aussi l’administration a-t-elle proposé de l’encadrer dans le temps, en la limitant à 5 ans après la fin du placement. Mais pour la CGT ce délai de 5 ans reste disproportionné et toujours aussi attentatoire au respect de la vie privée et familiale ! Sans compter que l’administration en a profité pour ajouter des obligations à la charge du fonctionnaire ! Les organisations syndicales se sont donc toutes opposées au projet de texte modifiant le code de déontologie pénitentiaire. Pour autant, l’administration a préféré passer en force et imposer sa vision coûte que coûte… Nous sommes désormais dans l’attente de l’avis du Conseil d’Etat.
La CGT continuera, avec d’autres organisations, de dénoncer ces atteintes à la vie privée des professionnels, intervenants et personnes placées sous main de justice, et à tout mettre en œuvre pour qu’une autre vision plus respectueuse des libertés fondamentales s’impose.
La CGT dénonce la dégradation des conditions de travail et des organisations de travail
Nous constatons qu’aujourd’hui l’administration est plus prompte à sanctionner individuellement des agents qu’à remettre en cause ses fonctionnements institutionnels, ses méthodes « managériales » autoritaires, et l’impact des conditions, des charges et autres organisations du travail sur la vie de ses services.
Dans ces derniers, les supervisions et les espaces collectifs font cruellement défaut, les charges de travail intolérables insécurisent les professionnels, les repères éthiques sont brouillés et la formation sur les questions de déontologie (notamment celle qui concerne le secret professionnel) sont quasiment inexistantes ! Les logiques gestionnaires sont le seul horizon des objectifs fixés, et ont pris le pas sur le rôle de conseil technique que devrait avoir les personnels d’encadrement.
La CGT se bat pour de meilleures garanties et de nouveaux droits pour les personnels des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation ! La CGT se bat contre le statut spécial ! La CGT se bat pour de meilleures conditions de travail, car elle sait que celles-ci sont souvent à l’origine des dysfonctionnements dans les services. Nous ne laisserons donc pas l’administration entrer dans la voie du « management » par la discipline, car celle-ci est indigne pour la DAP, pour ses agents, et le plus souvent contre-productive pour le service public !
Montreuil, le 19 novembre 2015