Lors du dernier CT SPIP du 10 mars, la CGT avait obtenu l’ouverture de différents groupes de travail avec l’administration et l’ensemble des organisations professionnelles sur les sujets brûlants concernant les SPIP : le manuel de contrainte pénale, le RPO 1 (référentiel des pratiques opérationnelles) et la recherche action PREVA sur l’outil d’évaluation des publics. La CGT a participé à l’ensemble des réunions qui se sont déroulées entre le mois d’avril et le mois de mai. La CGT a été force de propositions en permettant un débat contradictoire et constructif.
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Lors de l’ensemble de ces réunions, la CGT a transmis de nombreuses contributions que vous trouverez sur notre site internet en cliquant ici. En voici les éléments saillants
Le timing et le langage de l’administration
Après l’adoption de la réforme pénale, l’administration veut aller vite : la pression politique est forte et le ministère veut un retour rapide sur investissement. Mais pour quoi faire ?
« Crédibiliser le savoir-faire des CPIP, rendre lisible les pratiques professionnelles afin que les juridictions s’emparent de la contrainte pénale notamment ».
Comment ? En élaborant un manuel de mise en œuvre de cette nouvelle peine, qui a vocation à être élargi à l’ensemble des peines de milieu ouvert et fermé. Ce manuel, et sa déclinaison plus généraliste dans le RPO 1, sont censés permettre la construction « d’une doctrine » partagée sur la probation et guider les professionnels dans leurs pratiques.
Le manuel de contrainte pénale sera présenté au CT SPIP du 16 septembre 2015 ; l’administration travaille également à l’élaboration de 4 RPO : 1- sur la méthodologie d’intervention largement inspirée du manuel de contrainte pénale, 2- sur les compétences pour exercer le métier de CPIP et appliquer la méthodologie du RPO1 (qualifications, recrutement, formation et éventuellement déontologie), 3- sur l’organisation des services où il serait question d’organigrammes, 4- destiné aux cadres sur les instruments de gestion et de pilotage de l’activité.
La DAP élabore actuellement le RPO1 et celui-ci devrait être présenté au CT SPIP en décembre 2015. Le travail sur les 3 autres RPO devrait ensuite débuter en 2016.
Enfin, l’administration veut armer les professionnels d’un outil d’évaluation du public. Affirmant vouloir éviter l’échec du DAVC, la DAP tente une nouvelle expérimentation en lançant une recherche-action déployée sur 6 sites pilotes (DI Paris et DI Bordeaux). Celle-ci vise à l’expérimentation de 5 outils d’évaluations et à leur éventuelle implantation en France. Cette recherche-action est menée en codirection par l’UFR de psychologie de l’Université Rennes II et l’Ecole de Criminologie de l’Université de Montréal. L’administration s’était engagée à diffuser à l’ensemble des personnels une présentation de la recherche action, mais à ce jour nous n’avons toujours aucune diffusion. La CGT le fait donc.
En 2016, l’administration a prévu de lancer de manière concomitante le plan de formation des professionnels et l’étude d’impact concernant l’utilisation de ces outils sur les professionnels et le public pris en charge. Il est plus qu’étonnant de déployer dans le même temps l’outil et la formation avant même d’avoir étudié ses impacts. Que décidera l’administration si les effets sont dévastateurs pour les professionnels et le public, après avoir déjà dépensé plus de 60000 euros pour cette recherche action et surtout après avoir déjà lancé la formation des personnels ? Reviendra-t-elle en arrière ? La CGT en doute fortement, malgré les affirmations contraires de la DAP.
Lutter contre la pensée unique
Il apparaît indispensable à la CGT de lutter contre la pensée unique de l’administration, la pensée unique dans sa vision historique des SPIP et sa volonté d’harmoniser à tout crin les pratiques professionnelles, en repliant la profession sur un modèle unique : celui du RBR.
A cette fin, et comme elle s’était engagée à la faire lors du dernier CT SPIP, la CGT a travaillé une contribution écrite qu’elle a rendue à l’administration il y a quelques jours. Celle-ci est publiée sur notre site (ici).
La CGT constate que l’identité professionnelle des travailleurs sociaux a été malmenée et maltraitée depuis de nombreuses années. Cette fragilisation est due d’une part à des causes externes (explosion des charges de travails, recrutement massif de personnels, formation initiale indigne et changeante au gré des commandes politiques et aggravée par le système de la pré-affectation), mais aussi et surtout aux multiples injonctions paradoxales auxquelles nous avons à faire depuis presque 8 ans. (Partie 1 de la contribution sur ce constat).
Une nécessité : réaffirmer la réinsertion et l’insertion sociale des publics comme la finalité prioritaire des SPIP
Le repli sur la seule prévention de la récidive est réducteur et non « opérationnel » pour les professionnels des SPIP.
Pour la CGT la finalité des SPIP est et demeure la réinsertion sociale du public qui nous est confié. D’une part, cette mission correspond aux besoins des publics, d’autre part, cette mission est bien évidemment conforme à celle de l’administration pénitentiaire ainsi qu’à celle exposée par les REP. En effet la REP n° 1 indique que « les services de probation ont pour but de réduire la commission de nouvelles infractions en établissant des relations positives avec les auteurs d’infractions afin d’assurer le suivi (y compris un contrôle, le cas échéant), de les guider et de les assister pour favoriser la réussite de leur insertion sociale. De cette manière, la probation contribue à la sécurité collective et à la bonne administration de la justice ». Et plus généralement la probation y est définie comme « une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ».
La CGT l’a dit et le redit : cette REP n°1 et cette définition de la probation sont tout à fait claires, et doivent pleinement être intégrées par l’AP. Il lui appartient aujourd’hui d’affirmer haut et fort que la réinsertion sociale est la mission essentielle et prioritaire des SPIP.
Une méthodologie ou des méthodologies, un outil ou des outils, vers la multiplicité, la diversité et la richesse plutôt que l’harmonisation et la standardisation des pratiques
Une fois clarifiées les missions des SPIP, il s’agirait aujourd’hui de refonder les pratiques professionnelles et de repenser le métier. Mais dans quel sens, comment le faire et avec quelles méthodes ?
L’ensemble de ces travaux menés par la DAP repose sur le socle juridique des REP et sur les théories criminologiques issues du RBR. Les REP sont un corpus de 108 règles relatives à la probation établies par le Conseil de l’Europe. Si la CGT est plutôt favorable à cette orientation, qui reconnaissait enfin la richesse et l’importance de la probation dans les SPIP, la CGT le martèle : il appartient à l’administration de regarder les REP dans leur ensemble, et non seulement quelques règles éparses, pour ne pas replier la profession sur un seul corpus théorique – le RBR –, sur un seul outil d’évaluation, et ceci au risque de dénaturer et d’appauvrir totalement le métier. Il est en outre inquiétant de vouloir enfermer les professionnels dans un modèle théorique unique, qui apparaît largement éloigné et déconnecté de notre culture professionnelle.
Car derrière une volonté d’harmoniser les pratiques se cache un risque fort de standardisation de celles-ci et de déqualification professionnelle (routine professionnelle, perte d’autonomie et d’initiatives, bureaucratisation…). C’est pourquoi, la CGT s’est attelée, avec l’appui de plusieurs articles d’universitaires et de chercheurs, à faire une critique constructive du RBR. C’est une question d’honnêteté intellectuelle, mais surtout une affaire qui revient à la CGT car si elle ne le fait pas, personne – strictement – ne le fera (Partie 2 de la contribution sur le contexte).
Retrouver le travail social et ses méthodes d’intervention
Enfin, il est lourd de conséquence de vouloir imposer l’exclusivité d’un outil d’évaluation plutôt qu’un autre. Il faut au contraire encourager et soutenir la multiplicité des outils, signe d’une richesse et de la diversité d’une profession.
Dans la perspective d’une réaffirmation forte de la mission de réinsertion sociale, la CGT le martèle : l’ADN des travailleurs sociaux des SPIP est bien le travail social et ses méthodes d’intervention – liées à la sociologie du public pris en charge. La CGT a donc dans sa contribution fait des propositions dans ce sens (Partie 3 de la contribution, perspectives), afin de contredire l’affirmation caricaturale qui indique que le travail social éloigne les professionnels de « jugements structurés » ou d’une quelconque méthodologie.
La CGT a transmis un certain nombre d’articles tirés de la littérature en travail social et sa méthodologie, qui expliquent les modes d’interventions en travail social – de l’analyse de la situation à la clôture de l’intervention en passant par l’évaluation diagnostique, la mise en œuvre du projet d’intervention et l’évaluation des résultats. La CGT a également transmis un article sur une recherche-action menée au sein de la PJJ sur l’évaluation du public, qui a entièrement été menée par les professionnels et surtout à partir de méthodes relevant de leurs pratiques actuelles.
C’est comme si la CGT faisait redécouvrir à l’administration ce que faisaient, ce que font et ce que feront toujours les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire !
Retrouver le travail social, c’est dire que les SPIP œuvrent à la réinscription au sein du corps social des personnes qui leur sont confiées, et que c’est en cela qu’ils participent de la prévention de la récidive ; c’est retrouver une identité professionnelle forte ; c’est s’ouvrir aux IRTS, c’est s’ouvrir au Conseil Supérieur du Travail Social ; c’est se conformer aux recommandations du Conseil de l’Europe, et c’est renouer avec le fil perdu de l’histoire de la profession !
La CGT porte ces valeurs et demeure, grâce à ses positions, la première organisation syndicale au sein des SPIP. C’est le signe de la persistance de ces aspirations et de la survivance envers et contre tout de cette identité professionnelle.
Il est dès lors urgent pour la CGT :
– d’établir un ratio de prise en charge ;
– de reconnaître une plus grande autonomie des personnels ;
– de remettre à plat le contenu de la formation initiale et continue, et de mettre un terme définitif au système de pré-affectation ;
– d’enseigner à l’ENAP la méthodologie du travail social, notamment ses méthodes d’évaluation et de prise en charge des publics, en liens avec l’ANAS et les IRTS ;
– Afin d’« harmoniser » les techniques d’évaluation, il est possible de définir un modèle de synthèse socio-éducative et judiciaire commun à tous les CPIP. Cette synthèse demeurerait une évaluation socio-éducative et judiciaire, et non un outil structuré avec une cotation. A propos de l’évaluation en travail social, outre les ouvrages de référence de Christina de Robertis, il est possible de se tourner, par exemple, vers Alföldi Evaluation (voir contribution), afin d’expérimenter des outils d’évaluation découlant de la méthodologie de l’intervention en travail social.
Enfin la CGT le redit : l’administration procède à l’envers. Plutôt que de penser et formaliser à tout crin une méthodologie d’intervention, puis un métier, il conviendrait d’adosser d’abord la profession à une identité professionnelle forte ! C’est pourquoi la CGT redit son souhait d’avoir un code de déontologie digne de ce nom, qui permettrait de définir et d’asseoir les pratiques professionnelles sur des principes fondamentaux.
Au-delà de cette contribution, la CGT représente d’abord des professionnels de l’engagement, en lutte pour leur identité professionnelle et pour l’émancipation de leurs publics.
La CGT est donc force de propositions constructives, il appartient désormais à l’administration de les prendre en compte !
Montreuil, le 8 juin 2015