Les repères revendicatifs de la CGT #2
Depuis Avril 2018 et l’ouverture de l’étude du projet de loi dans le cadre d’une procédure accélérée, la CGT Insertion Probation a communiqué à plusieurs reprises sur le projet de Loi de Programmation pour la Justice 2018 – 2022.
Elle a aussi eu l’occasion de porter ses remarques et propositions d’amendements auprès des rapporteurs de la loi tant au Sénat qu’à l’Assemblée Nationale. Le texte a été étudié par les deux chambres et après l’échec d’une commission mixte paritaire le 12 décembre dernier, il a fait l’objet d’un vote solennel à l’Assemblée Nationale le 23 janvier.
Comme attendu, le texte soumis au vote est quasiment similaire au projet de loi initial et son contenu conduit à une mobilisation de l’ensemble des professionnels du monde de la justice : délégation de la justice civile, fusion des TI et TGI remettant ainsi en cause la justice de proximité, création du tribunal correctionnel départemental – suppléant les cours d’assises et abandonnant le jury populaire, absence de réflexion sur les procédures de jugement qui sont fondées sur la gestion de flux au détriment d’un jugement humain, développement de la dématérialisation au détriment également de l’accès au droit… tout ceci dans un contexte de ressources humaines et moyens financiers toujours aussi indigents.
La CGT IP a participé à cette mobilisation, notamment à la manifestation nationale qui a réuni plus de 6000 personnes à Paris le 15 janvier dernier.
Notre regard critique se porte particulièrement sur le Titre V du projet de loi intitulé « sens et efficacité de la peine » qui comprend des dispositions qui impacteront de manière forte l’activité de nos services.
Voici un rappel des principales modifications déjà dénoncées par notre organisation et des principales nouveautés intégrées au texte dans le cadre des débats parlementaires :
UNE RETOUR AU PROJET DE LOI INITIAL
La navette parlementaire aura été marquée par des amendements variés du Sénat (de la réintroduction d’une peine autonome de probation au renforcement de la notion de récidive ou d’extension des possibilités de prononcer un SSJ), mais surtout par un retour au projet initial lors de l’étude du texte par l’assemblée nationale. Sans en reprendre l’intégralité du contenu, vous trouverez ci-dessous les lignes fortes dénoncées par notre organisation au sujet de ce texte :
La référence omniprésente à l’incarcération
Celle-ci se traduit en 1er lieu par la nouvelle échelle des peines venant renforcer la place de l’emprisonnement en supprimant notamment la peine autonome de Contrainte Pénale et en créant une peine autonome de Détention à Domicile sous Surveillance Électronique.
Par l’abaissement des seuils d’accès aux procédures d’aménagement de peine prononcées ab inito qui exclut désormais cette possibilité à toute peine d’emprisonnement supérieur à un an et ne pouvant se faire désormais que sous la forme quasi exclusive d’une mesure sous écrou (DDSE, SL, PE)
Par la création de 15000 places de prison dont 7000 seront effectives d’ici à 2022.
Enfin, par l’absence du milieu fermé pour lequel quasiment rien n’est prévu dans ce texte. Si les logiques visant à l’incarcération se renforcent, celles axés sur la préparation à la sortie des personnes détenues sont ici inexistantes.
Autant d’éléments démontrant l’absence de rupture de ce projet de loi avec la culture du tout carcéral et qui ne feront que renforcer la surpopulation déjà record des établissements pénitentiaires.
Une diminution des notions d’individualisation des peines et de prise en charge des personnes condamnées :
Par la suppression de la contrainte pénale et la remise en cause forte de la procédure de 723-15, le projet de loi limite fortement la notion d’individualisation.
Si la volonté de faire en sorte que les aménagements soient prononcés par la juridiction de jugement est louable, elle n’a de sens qu’en s’accompagnant d’une modification des procédures de jugement. Sans prévoir de temps nécessaire à cette individualisation l’objectif est illusoire. Le repositionnement du SPIP dans le pré-sentenciel n’a que peu de sens s’il n’est fait que pour assurer la réalisation d’enquêtes rapides de personnalité et non pour procéder à une individualisation réelle nécessitant du temps.
La dimension d’accompagnement pourtant indispensable au « sens de la peine » se voit également mise à mal dans ce texte, notamment au regard de la DDSE pour laquelle l’accompagnement semble être en option.
Nos précédents communiqués :
Vous trouverez l’ensemble de ces éléments développés de manière approfondie dans nos précédents communiqués :
Novembre 2018 : http://www.cgtspip.org/loi-programmation-justice-reperes-revendicatifs-cgt-nov-2018/
LES NOUVEAUTÉS INTEGREES AU TEXTE – dans le cadre des débats parlementaires
LE TIG :
Conformément au projet initial, le TIG en plus de rester une peine autonome, devient également une obligation pouvant être assortie de l’exécution d’un sursis probatoire. Le débat parlementaire aura néanmoins conduit à dénaturer encore le sens de cette peine :
Ø Le quantum horaire maximum du TIG est désormais fixé à 400 heures. Volume qui révèle à quel point le législateur est déconnecté de l’intérêt de cette mesure et des contraintes liées à sa réalisation. Ce volume ne pourra aboutir qu’à des impossibilités matérielles de mise en place tout simplement liées aux disponibilités de structures, mais également à celle des personnes condamnées. Rappelons que 400h cela représente 3 mois à temps complet, qu’un certain nombre de personnes condamnées à ce type de mesures travaillent et doivent donc exécuter ces heures pendant leur congé, que beaucoup d’autres sont en recherche d’emploi et se verraient contraintes d’abandonner ces démarches pendant un temps conséquent et non rémunéré posant nécessairement la question du sens de cette peine.
Ø Une extension des structures habilitées pour recevoir ces mesures : en plus des personnes morales de droit privé engagées dans l’économie sociale et solidaire prévues dans le texte initial, sont ajoutées des sociétés à mission au sens de l’article L.210-10 du code de commerce… Ne cherchez pas à comprendre quelles sont ces structures, cet article n’existe pas, la loi dans sa rédaction résultant de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises qui doit les définir n’existant pas à ce jour…
Le dossier unique de personnalité :
Dossier sensé procurer une aide à la décision judiciaire qui existerait pour toute personne condamnée en regroupant différents éléments, dont les rapports du SPIP, et qui seraient accessibles par différentes autorités et administrations…
Évoqué lors du discours présidentiel à l’ENAP, cet outil n’apparaissait plus dans le projet de loi. Il revient donc en lecture finale et suscite de nombreuses interrogations : quel contenu ? à quelles fins ? qui pourra y avoir accès ? pendant combien de temps ?
Ce dossier existe déjà à la PJJ et pose les mêmes soucis de confidentialité et de destination des informations, d’autant qu’il peut contenir des informations médicales également.
La CGT insertion probation a toujours été opposée au fichage quel qu’il soit. Les données recueillies dans le cadre du mandat pénal ne doivent pas être accessibles à de multiples personnes. Il en va du respect du secret professionnel et de la déontologie des CPIP, essentiels à l’exercice de leurs missions.
Précisions relatives à la conversion des peines :
Ø Pour les peines de moins de 6 mois : le JAP pourra convertir avant ou pendant l’exécution en mesure de TIG, DDSE, Sursis probatoire ou Jours amende. Procédure qui comme dans le projet de loi initial entre en contradiction avec d’autres articles prévoyant que les peines de prison aménagées doivent s’effectuer quasi exclusivement sous écrou…
Ø Une procédure de conversion est par ailleurs prévue pour les peines prononcées qui s’avéreraient non exécutables. Élément positif puisque entre la possibilité de prononcer un TIG en présumant de l’accord de la personne condamnée et les risques du prononcé d’aménagement de peine irréalistes faute d’éléments suffisant à la barre les mesures non exécutables risquent de se multiplier.
Création de nouvelles obligations particulières :
Les obligations particulières suivantes sont créés :
Obligation de justifier de la remise d’un bien dont la confiscation a été ordonnée.
Obligation de justifier du paiement régulier des impôts.
Obligation de justifier de la tenue d’une comptabilité régulière certifiée par un commissaire aux comptes.
Ajout d’un volet sécuritaire :
Sont également introduits à la faveur de la navette parlementaire des dispositions sécuritaire relatives à la détention :
Ø Possibilité d’écrouer des personnes prévenues en établissement pour peine (et vice versa) en lien avec la création des quartiers d’évaluation de la radicalisation, mais aussi des unités pour détenus violent au fonctionnement ultra sécuritaire ; t dans lequel la DAP à d’ores et déjà attribué au SPIP un rôle d’évaluation des risques de violence en détention en totale incohérence avec les missions qui sont les nôtres en milieu fermé.
Ø Limitation de l’article 57 de la loi pénitentiaire relative aux fouilles, renforcement du contrôle des abords des établissements, éléments relatifs au renseignement pénitentiaire…
Ø Seule les précisions sur le droit de vote marquent un progrès, mais il ne concerne que les élections européennes à venir.
CE QUE NOUS DEFENDONS
- La fin de la comparution immédiate et l’introduction de dispositif permettant une véritable individualisation des aménagements de peine :
La CGT insertion probation dénonce la déconnexion de la réflexion sur le prononcé des peines avec la réalité des conditions de jugement.
- L’accompagnement socio-éducatif comme norme
Pour la CGT, tout peine doit prévoir un accompagnement, mieux à même de travailler sur le sens de la peine et sa compréhension par les condamnés.
- La peine autonome de probation
Élément indispensable à la sortie de la référence carcérale, au développement et à la reconnaissance de la probation.
La CGT Insertion probation n’attend pas grand-chose, pour ne pas dire rien de ce nouveau passage à l’assemblée Nationale.
Ø Elle dénonce les perspectives de fonctionnement et d’accès à la justice auxquelles conduisent ce projet de loi et qui n’ont rien à voir avec la justice progressiste défendue par la CGT.
Ø Elle s’inquiète du contenu du titre V du projet de loi qui risque de remettre en cause les notions d’individualisation, de suivi, de sens de la peine qui sont au cœur de nos métiers et dans lequel se trouve désormais un fourretout sécuritaire !
Nous rappelons que la production de ce projet de loi a été marqué par l’absence de concertation avec les organisations professionnelles et son contenu s’en ressent profondément.
Les débats parlementaires engagés depuis le début du mois de décembre auront finalement été du même niveau, le gouvernement défendant son projet et uniquement son projet et se montrant hermétique à toute évolution non portée par ses députés.
Face à ces constats la CGT Insertion Probation ne peut qu’appeler à la poursuite de la mobilisation des SPIP et de l’ensemble des professionnels de la Justice pour que ce projet soit retiré ou révisé en profondeur.
Montreuil, janvier 2019