Le SPIP a 20 ans – épisode #2. Connaître notre histoire pour préserver la richesse d’une identité professionnelle multiple

Dans ce 2e épisode, la CGT IP s’appuie sur les travaux menés par Nadine Ferlay , dans son étude intitulée « les travailleurs de l’ombre » et publiée par la CGT. Vous trouverez l’étude complète sur notre site ainsi que sa synthèse.

Il apparaît indispensable à la CGT de lutter contre la pensée unique de l’administration pénitentiaire et sa volonté d’harmoniser à tout crin les pratiques professionnelles en en réduisant celles-ci sous un prisme unique.

Initialement: un cadre d’intervention clair et des missions explicites

L’étude menée par Nadine FERLAY en 2010, montre comment une filière professionnelle a réussi à imposer son existence au sein d’une institution qui la déniait, comment un corps s’est peu à peu constitué en marge de la culture pénitentiaire et donc en marge de sa propre administration. Mais cette construction à rebours était également son moteur et ce qui a forgé son identité. La profession a dû s’interroger sur sa place, sur le sens de ses missions et a développé de ce fait des pratiques professionnelles et une culture propres . Cette culture a été marquée principalement par sa proximité et sa mixité avec les assistants de service social. Ceux-ci ont été les premiers à entrer en milieu pénitentiaire – et les seuls jusqu’à la 1ère promotion d’éducateurs pénitentiaires en 1967. Ils ont nourri l’administration de leurs pratiques, et lui ont apporté leurs savoirs théoriques et leur cadre déontologique.

Le cadre d’exercice était simple : le mandat judiciaire. Le cadre des missions était clair et connu de tous. La qualité de travailleurs sociaux des agents pénitentiaires des SPIP (et avant des services sociaux ou des comités de probation) ne faisait aucun doute. Les choses étaient assez simples : l’administration pénitentiaire avait pour missions exclusives la garde et la réinsertion des personnes qui lui étaient confiées, les établissements pénitentiaires avaient en charge la première, et les SPIP la seconde. Le code de procédure pénale était lui-même très clair sur cette question.
L’administration pénitentiaire avait donc sous la main une profession qui détenait la connaissance de ses publics, qui s’était certainement construite de façon anarchique et éparse, mais qui bénéficiait d’une culture forte qui ne demandait qu’à se renforcer.

Les modifications des années 2000 : inflation pénale et lutte contre la récidive

Si la création des SPIP en 1999 a été concomitante à des recrutements massifs dans le corps des travailleurs sociaux, cette période a également vu l’augmentation significative du nombre de personnes suivies par nos services et la croissance exponentielle des missions qui y sont liées.

Les années 2000 ont été marquées par une inflation législative marquant un virage sécuritaire de la politique pénale. Une série de lois, souvent en réaction à un fait divers et sous la pression du politique, va conduire à une extension du filet pénal (Lolf de 2001 qui impose des objectifs de réponse pénale à apporter à tout fait délictueux d’où la création des ordonnances pénales délictuelles en 2002 ou la CRPC en 2004) et du suivi post-peine (SSJ, surveillance de sûreté). De plus en plus de comportements deviennent pénalement répréhensibles et de nouvelles mesures sont créées ; le tout aboutissant à ce que toujours plus de personnes soient condamnées à des peines de plus en plus longues. Ce mouvement connaît son apogée en 2007 avec l’adoption des peines plancher. Le SPIP va être directement impacté par ces personnes ainsi condamnées à prendre en charge, mais également par la juridictionnalisation de l’application des peines et le développement de nouvelles mesures et procédures d’exécution de peines (PSE, PSEM, SEFIP, NPAP…). Sans remettre en question la mission d’insertion, ces nouveautés vont conduire à une évolution de l’appréhension du métier par l’administration et à la montée en puissance de la part de l’écrit dans nos pratiques
professionnelles.

Ces mêmes années ont également vu apparaître un concept de plus en plus prégnant au sein des services : la prévention de la récidive. S’il était entendu que les travailleurs sociaux de
l’administration pénitentiaire ont toujours oeuvré à la prévention de la récidive, ceci n’était pas
affiché comme une fin en soi – mais comme la conséquence évidente de leurs missions.
Or, pour la CGT, ce « nouveau » paradigme a participé d’une perte de repère professionnel, car trop polysémique, trop ambivalent et trop peu opérationnel. En effet, dire que le but de l’action des SPIP réside dans la prévention de la récidive, c’est ne rien dire ; cette finalité ne fait que répondre à une commande politique, mais ne peut être adressée comme telle à un ensemble de professionnels.
« Prévenir la récidive », c’est entretenir un flou sur les termes : de quelle récidive parle-t-on ? De la récidive légale entendue et visée par le code pénal ? De la réitération de toute infraction – ce qui n’est pas la même chose ? Qu’entend-on par prévenir/prévention ? Est-ce de la protection, de la prévision, de la réduction des risques, de l’évitement, etc. ? Est-ce une obligation de moyen ou de résultat ? Cette mission affichée comme telle permet, selon les réponses à ces questions, toutes les postures professionnelles – du contrôle le plus strict à l’accompagnement le plus empathique, car toutes, à leur niveau, participent de la prévention de la récidive. Il est d’ailleurs étonnant de voir comment ce concept fort s’impose à l’exclusion des autres.

La circulaire du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des  services pénitentiaires d’insertion et de probation indique pourtant que « les SPIP interviennent dans le cadre du service public pénitentiaire qui participe à l’exécution des décisions et sentences pénales, au maintien de la sécurité publique et doit s’organiser de manière à lutter efficacement contre la récidive en favorisant la réinsertion des personnes. » Il apparaît évident que la fin de la phrase a été oubliée et niée par l’institution, tant dans les méthodologies que l’administration a alors tenté d’imposer sur les terrains (du DAVC au RBR), que dans le contenu de la formation initiale enseignée à l’ENAP!

Des services toujours attachés aux méthodologies du travail social

Malgré l’accroissement d’un corps professionnel considéré comme jeune, malgré les évolutions
législatives successives parfois empruntes de populisme, malgré les orientations de la DAP visant à transformer nos services en unités de gestion du risque, les SPIP et les personnels qui les composent ne cessent d’user, dans leurs pratiques professionnelles, des méthodologies directement liées à leur histoire, issues de l’analyse clinique et de la méthodologie du travail social.
Pour la CGT, l’ancrage du SPIP dans le travail social et les méthodologies qui s’y rapportent ne sont pas un dogme mais une réalité. Les SPIP sont dépositaires d’une pratique professionnelle riche, mais parfois devenue clandestine. Elle n’est plus enseignée à l’ENAP mais s’acquiert sur le terrain, dans le cadre de stages, dans les échanges quotidiens entre collègues. Cette méthodologie bien réelle répond aux enjeux des missions qui sont les nôtres, au mandat judiciaire qui fonde notre intervention et au public qui nous est confié. Si elle paraît aujourd’hui pour partie hors des attentes institutionnelles, ce n’est pas en raison d’une hypothétique désuétude mais bien parce qu’elle manque de (re)connaissance de la part d’une administration qui, au lieu de valoriser ses agents et de s’appuyer sur leurs compétences s’emploie à les dénigrer en faisant table rase de ce passé qui constitue leur identité. 

Ce dénigrement est également la conséquence d’une administration déséquilibrée au sein de laquelle la place dédiée à la mission d’insertion est marginalisée. Cette administration ne s’est jamais donné les moyens de mener à bien sa mission d’insertion et, après avoir négligé les SPIP chargés de celle-ci pendant des années, elle prétend aujourd’hui les « professionnaliser ». Professionnaliser les SPIP, c’est uniquement reconnaître l’histoire, les savoirs-faire de ses personnels et leur identité. C’est d’abord au Ministère de la Justice de se professionnaliser en établissant pour les SPIP des organigrammes de référence afin que cesse un nombre de prises en charge bien trop souvent supérieur à 100 dossiers par agent quand la norme européenne en préconise la moitié.

Pour la CGT, il est urgent de mettre fin à cette volonté de révisionnisme institutionnel. Prétendre fêter en grande pompe les 20 ans des SPIP alors que sont remis en cause l’histoire et l’identité même de ces services, les compétences et le professionnalisme des agents qui les composent, tout en maintenant une pénurie de personnels, s’apparente à une imposture certaine et une provocation incontestable.
Il est temps que l’administration pénitentiaire prenne conscience de la réalité et reconnaisse enfin qu’elle peut s’appuyer, si elle les dote des moyens adéquats, sur les compétences des professionnels des SPIP pour structurer un service public de qualité.

=> A suivre : état des lieux 2019 de la filière : CPIP / encadrement / nouveau statut