En plein cœur d’un été caniculaire, alors que la surpopulation carcérale explose avec plus de 72 000 personnes détenues pour environ 60 700 places et que la France est régulièrement pointée du doigt pour l’état de ses prisons, la classe politique de droite et/ou d’extrême droite, soutenue par quelques syndicats en mal d’aura électorale, préfère s’insurger contre l’organisation d’une activité qualifiée de façon réductrice « d’activité karting » au centre pénitentiaire de Fresnes.
Loin de recadrer le débat, le garde des Sceaux préfère lui aussi s’engouffrer dans la polémique et jeter le discrédit sur les activités organisées en détention en diligentant une enquête administrative et en voulant placer sous le joug d’une validation systématique par la DAP toute organisation d’activité. Il est certain qu’il est plus aisé de se draper dans l’outrance et le populisme plutôt que de reconnaître la faiblesse de l’action publique pour corriger la réalité des prisons en France. Réalité dépeinte dans les rapports de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, de la défenseure des droits ou encore au travers des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme…Triste réalité bien éloignée de celle du Club Med.
Robert Badinter disait « La condition pénitentiaire est la première cause de la récidive ». Alors n’en déplaise à certains, si la prison a pour objectif de sanctionner et de prévenir la récidive, elle se doit également d’offrir des conditions de détention dignes, et de permettre à chacun de pouvoir jouir de ses droits. Tous ses droits sauf celui tenant à la liberté d’aller et venir en somme. La prison se doit de penser son propre fonctionnement, la façon dont elle considère et traite les personnes détenues tout comme leur retour à la vie libre et au sein de la société, si elle ne veut pas elle-même se mettre en échec.
http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2022/08/Droit-des-detenu-e-s.pdf
Surpopulation carcérale
La CGT IP appelle de ses vœux un profond changement de philosophie en matière de politique carcérale et pénale pour que la France sorte enfin de l’ornière de la surpopulation carcérale dans laquelle elle s’enlise depuis trop longtemps.
La nature déteste le vide et l’expérience le prouve : à construire toujours plus de places de prison, on incarcère et même on entasse toujours plus. On le sait, au regard des conditions de détention, du manque cruel de moyens humains mais aussi matériels alloués pour la pratique d’activités, en faveur des dispositifs d’insertion ou de la préparation à la sortie, la prison fragilise et précarise.
Il est urgent d’engager une réforme de fond et de repenser l’échelle des peines. L’emprisonnement n’est pas seule la réponse pénale acceptable.
Pour la CGT IP, la France doit enfin se détacher d’un système pénal où l’emprisonnement est la peine de référence et où le manque d’activités, la privation de droits élémentaires, l’insalubrité et l’absence d’hygiène sont admis et présentés comme corollaires naturels de la peine, pour enfin développer une peine de probation autonome.
Les moyens doivent également être davantage portés sur le développement des aménagements de peine qui puissent être préparés, élaborés sous l’égide du SPIP, autour d’un projet de vie, d’insertion ou de réinsertion et qui puissent permettre à la personne de bénéficier d’un accompagnement lors de l’exécution de celui-ci. Les partenaires associatifs ou institutionnels qui s’investissent dans ces projets (du fait du désengagement de l’État en la matière) doivent également pouvoir rencontrer les personnes avant leur sortie afin que puissent notamment être anticipées les démarches administratives qui réalisées en amont, la facilitent grandement et permettent à la personne elle-même de la vivre plus sereinement.
La visibilité sur la fin de peine est d’ailleurs essentielle pour garantir un travail utile de préparation à la sortie. A ce sujet, la réforme qui acte la fusion des CRP/RPS n’aidera en rien à la réinsertion et illustre le fossé qui se creuse entre intérêt de la personne et le prisme sécuritaire porté par le Ministère de la Justice.
Il serait bien plus constructif, mais certes moins démagogique, de miser sur l’accompagnement et l’insertion en développant les places de placement extérieur plutôt que sur l’unique contrôle et l’ersatz de détention que représente la surveillance électronique.
Dignité en détention
En outre, contrairement aux idées reçues, la diminution du recours à l’incarcération ne contribuera pas à elle seule à l’amélioration des conditions de détention. Cela permettra uniquement à moins de personnes d’en subir les effets négatifs, que ce soit les personnes détenues elles-mêmes, leurs proches ou les personnels qui y exercent. Les réformes engagées en matière de dignité des personnes détenues se doivent de permettre à terme (court ou moyen) de changer la réalité de la vie en détention et ne pas se résumer à de simples déclarations d’intention.
Ainsi dernièrement, en réponse à sa condamnation historique en janvier 2020 par la CEDH, pour traitement inhumain et dégradant notamment dans le cadre d’une trentaine de recours introduits par des personnes détenues, la France s’est dotée d’un recours permettant à toute personne incarcérée de saisir le juge judiciaire si elle estime que ses conditions d’incarcération sont contraires au respect de sa dignité et que des mesures doivent être prises pour y mettre fin.
Pour la CGT IP cette prise de conscience et ce nouveau dispositif constituent une réelle avancée pour les droits de personnes détenues. Se pose néanmoins la question de l’efficacité de ce recours et des mesures effectivement prises par l’administration pénitentiaire pour faire cesser les atteintes. Si la reconnaissance des conditions indignes est une première étape, il ne faudrait pas rester au milieu du gué ! Car ce que doit offrir l’État et l’Administration aux personnes détenues, ce sont des conditions dignes d’abord. C’est aussi un accès à des activités pour le plus grand nombre favorisant l’insertion et donc diversifiées, un accès aux droits sociaux, aux démarches administratives, à la recherche d’un hébergement et d’une activité, qu’elle soit de formation ou professionnelle. En définitive, tout ce qui peut leur permettre d’envisager la sortie, de se projeter vers l’après, et pas uniquement de parer aux conditions indignes !
Accès aux services publics & internet en détention
Alors que le gouvernement s’enorgueillit d’avoir fait de la lutte contre la fracture numérique une priorité et se gargarise d’avoir restauré le service public, qu’il s’efforce pourtant de démanteler à coup de réforme plus délétères les unes que les autres depuis des dizaines d’années, le constat est implacable. En détention, à l’image des territoires ruraux, l’accès aux services publics comme au numérique est illusoire.
Aujourd’hui la prison reste une véritable zone blanche sciemment entretenue au nom de la sécurité et au détriment de la réinsertion des personnes détenues.
En dehors des services publics pénitentiaires et hospitaliers (pour les plus heureux), un désengagement de l’État en détention est constaté.
Pourtant, comment nier qu’aujourd’hui quasiment tout se fait par Internet : réaliser ses démarches administratives, s’informer, se former, chercher un emploi, rencontrer, échanger, se divertir ou encore avoir accès à la culture ? Même les comparutions devant le juge n’y coupent pas !
Le système pénitentiaire entretient un paradoxe pernicieux en demandant la fois à la personne détenue de se responsabiliser, de s’impliquer, de se mobiliser pour préparer sa sortie tout en le maintenant dans une dépendance vis-à-vis de tel ou tel intervenant et en l’empêchant d’être autonome dans ses démarches ?
Alors que les recommandations tendant à permettre l’accès à internet en détention se multiplient (Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté, défenseure des droits, appels interassociatifs …), d’autres pays ont ouvert la voie et démontrent qu’internet n’est pas incompatible avec les contraintes de la prison. Mais comme sur de nombreux autres sujets, lorsqu’il est question de la prison et de l’amélioration des conditions de détention, la France est à la traîne et la volonté politique bien mince.
Du côté de l’administration, on ne peut pas dire que les actions engagées soient à la hauteur du fossé qui ne cesse de se creuser entre l’intérieur et l’extérieur.
La CGT ne s’y trompe pas : le NED (« numérique en détention ») qui vise à permettre aux personnes détenues de cantiner, de formuler des requêtes ou encore de consulter leur compte nominatif via une tablette en cellule et à leurs proches de réserver en ligne les parloirs n’est en rien l’accès à internet et reste à ce stade un outil de gestion de la détention. Il n’est en rien conçu pour les personnes détenues ou pour leur réinsertion.
Pour la CGT IP, internet doit être envisagé comme un vecteur d’autonomisation, d’émancipation, d’ouverture, de préservation des liens familiaux et de maintien d’un ancrage avec la société pour la personne détenue et non plus seulement comme un risque pour la sécurité des établissements.
Son accès devra se développer à côté, et ne pas se substituer aux dispositifs existants (activités culturelles, intervention régulière et effective des partenaires dans le cadre de l’accès aux droits) qui se doivent aussi d’être renforcés et s’aligner autant que faire se peut sur les droits dont bénéficient tout un chacun à l’extérieur.
Travail en détention et droits sociaux :
Avec la loi dite « confiance », le Ministère prétendait avoir enfin entendu le message et assurait s’employer à aligner sur l’extérieur, les conditions de travail et les droits associés des personnes détenues.
Cette réforme, réclamée à cor et à cri, par la CGT notamment, était plus qu’attendue, tant l’écart entre le droit du travail et le droit applicable en détention était abyssal.
Pour la CGT IP, la loi et les textes qui en découlent (circulaire relative à l’organisation du travail en détention et l’ordonnance relative aux droits des personnes détenues travaillant sous le régime du contrat d’emploi pénitentiaire) constituent une avancée notable des droits des personnes détenues travailleuses, et elles seules.
En encadrant le travail entre les murs, en calquant sur le droit commun les dispositions relatives au temps de travail par exemple ou en ouvrant à cotisation certaines mesures de protection sociale comme l’assurance chômage, l’assurance vieillesse ou encore à l’assurance maternité, on ne peut nier qu‘un premier pas est fait dans la bonne direction.
Pour autant, pour la CGT IP, les avancées sont encore bien trop timides et le droit du travail reste aux portes de la prison : le contrat d’emploi pénitentiaire n’est pas un contrat de travail, le salaire reste bien inférieur au salaire minimum, et il n’est ni prévu de congés payé ni d’indemnisation en cas d’arrêt maladie classique, pas plus que de possibilité d’exercice de droits syndicaux ou du droit de grève. Cela alors même qu’il est incontestable que la relation de travail reste déséquilibrée au bénéfice de l’employeur.
A croire que le bénéfice de certains droits a un coût et qu’il se paie à grands coups de flexibilité, de sélection et de rentabilité.
Il est fort dommageable que cette conception de la main d’œuvre en détention, pas chère et corvéable, continue à ce point d’irriguer la relation de travail. Si le travail est un gage de réinsertion comme ne cesse de le répéter le garde des Sceaux ce n’est pas uniquement parce qu’il occupe utilement le temps d’incarcération et fournit un salaire qui permet d’indemniser les victimes. Le travail doit valoriser l’investissement, l’engagement social qu’il représente à sa juste valeur, à défaut il ne fera que renforcer un sentiment d’injustice et de monde à deux vitesses.
De plus il est important que l’administration cesse de se fourvoyer en entretenant une confusion entre insertion et insertion professionnelle.
Il est illusoire et contre-productif de revendiquer le travail comme vecteur principal, pour ne pas dire, d’insertion et d’émancipation et ce d’autant plus, quand seulement 30% des personnes détenues ont accès à un emploi.
La CGT IP ne cesse de le rappeler, l’insertion doit aussi se traduire par des actions en faveur de la résolution des problématiques rencontrées par le public détenu en matière de soins, de logement, d’éducation, d’accès aux droits ou à la culture ou encore de démarches administratives. La réinsertion des personnes détenues doit marcher sur deux jambes : le parcours en détention et le projet de sortie.
Il est temps que l’administration assume l’entièreté de sa mission de réinsertion et se donne les moyens d’y parvenir ! Il est tout aussi urgent qu’elle revendique cette mission comme sienne car si elle ne la nie pas totalement encore, cette mission s’efface de plus en plus des orientations et discours de la DAP comme du Ministre. Elle se perd et l’Administration comme le gouvernement semblent d’ailleurs peiner à se rappeler un principe simple : l’Insertion prend différentes formes et elle contribue à prévenir la récidive bien plus efficacement que les propos populistes et nauséabonds à son encontre dans la sphère politique ou syndicale actuelle.