DECLARATION LIMININAIRE CSAM DU 3 OCTOBRE 2024

Monsieur le garde des Sceaux,

Ce CSA Ministériel de rentrée se tient après un été mouvementé : l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national a notamment pu être évitée du fait d’une grande mobilisation citoyenne et syndicale, rassemblant étudiant.es comme fonctionnaires, salarié.es du privé, retraité.es et privé.es d’emploi.

Une volonté forte s’est exprimée en faveur de plus de justice sociale, de la défense de services publics de qualité avec des moyens qui soient à la hauteur des besoins des citoyens, de l’abrogation de réformes régressives comme celle de la fonction publique ou des retraites. Pour autant, le sens du résultat des urnes a été détourné et le président de la République s’évertue à mettre en place les conditions d’une politique destructrice de l’État de droit, neutralisant toute avancée sociale, mettant en danger nos institutions, nos services publics et in fine, notre démocratie.

Il faut évoquer en premier lieu les coupes budgétaires importantes, décidées sans information ni concertation préalables des organisations représentatives des personnels tant au niveau ministériel que directionnel.

Plutôt que donner les moyens aux services publics de la Justice de fonctionner a minima correctement, c’est à l’inverse vers des restrictions significatives que l’exécutif se dirige : après un premier coup de rabot de 328 millions d’euros en février 2024, il est question d’une amputation du budget 2025 à hauteur de 500 millions d’euros. Les décideurs vont-ils persister dans cette voie qui consiste à priver le service public de la justice de moyens humains et matériels indispensables puis à fustiger encore et toujours ses manquements ? Vont-ils continuer d’apporter comme seule réponse l’externalisation et la privatisation des missions des agent·es et de nos services – à un coût bien plus exorbitant d’ailleurs ? Alors que le ministère a engagé des négociations devant mener à un accord sur la qualité de vie et les conditions de travail, que la valorisation des fonctions et des corps est soi-disant sans cesse recherchée, c’est tout le contraire qui est constaté.

A cet égard, il ne saurait être passé sous silence l’annonce faite le 31 juillet à la PJJ de la non reconduction de plus de 500 personnes, éducateurs, éducatrices, agents non titulaires. Ces mesures privent les mineurs des prises en charge ordonnées par les juges des enfants, dont l’exécution est mise à mal depuis longtemps dans de nombreux territoires. Elles génèrent de la souffrance et de la défiance chez les professionnels de la PJJ qui exercent dans des conditions déjà particulièrement dégradées. Si la mobilisation intersyndicale des collègues de la PJJ a permis d’atténuer très à la marge cette catastrophe humaine et professionnelle, 300 agent.es n’ont toujours pas vu leurs contrats renouvelés et sont ainsi, au surplus, plongés dans la précarité. Pour autant, les conséquences sur les organisations de services et les conditions de travail sont déplorables et c’est la continuité des missions qui est mise en péril. A l’heure où la charge de travail et le manque de moyens sont déjà plus que problématiques, la PJJ a besoin d’engagements forts.

Par ailleurs, alors que, on l’a vu récemment, le sens de la peine est sans cesse remis en cause et que le travail d’accompagnement en détention est fondamental pour que les services du ministère de la justice puissent assurer dignement leur mission commune de prévention de la récidive, des coupes budgétaires touchent également les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Formations refusées, activités culturelles non financées, loyers et factures impayé.es, déplacements non défrayés, permanences délocalisées : le tableau se noircit jour après jour. En revanche, et cela dit tout de l’état d’esprit de l’exécutif, les budgets dédiés à l’externalisation des missions des SPIP vers l’associatif concurrentiel dans le cadre d’expérimentations x ou y ne sont eux, aucunement remis en cause.

Preuve en est encore au sein de l’administration pénitentiaire. Suite aux évènements dramatiques d’Incarville avec la mort de 2 collègues, un relevé de décisions puis un protocole d’accord a été signé par l’ensemble des organisations professionnelles représentatives. Certains sujets étaient sans équivoque, la question financière n’était pas un obstacle. Depuis, les discours ont changé et des freins apparaissent au fil des groupes de travail. Inconcevable pour les représentants que nous sommes et hors de question de trahir ainsi les personnels.

La CGT et le Syndicat de la magistrature souhaitent, en cette rentrée qui voit l’entrée en fonctions d’un nouveau garde des sceaux, que la tendance s’inverse enfin. Le budget pour 2025 doit être à la hauteur des enjeux sociétaux majeurs que recèlent nos missions. En outre, l’indépendance des magistrats comme des services du ministère de la Justice doit être, non pas seulement réaffirmée telle une incantation éculée, mais concrètement et effectivement protégées, et ce d’autant plus fortement, au regard des velléités affichées au ministère de l’Intérieur de les subordonner.

Pourtant, l’ordre du jour de ce CSA Ministériel et les modalités de convocation à cette instance ne semblent pas permettre autant d’optimisme.

Sur les modalités de convocation d’abord puisque cette instance était initialement programmée le 26 septembre. Monsieur le garde des sceaux, vous avez souhaité y prendre part ce qu’on ne peut que saluer au regard de l’investissement sur cette instance de vos prédécesseurs. Toutefois, si votre agenda est contraint, celui des représentant.es élu.es l’est tout autant et nous ne pouvons passer sous silence que tout a été fait, en dépit de nos demandes et en dépit de tout respect de nos organisations, pour que la CGT et le SM ne puissent siéger aujourd’hui. Nous ne pouvons qu’espérer que le dialogue social sera davantage respectueux des personnels que nous représentons à l’avenir.

Sur l’ordre du jour ensuite.

 Si la CGT, grâce à sa combativité pour y parvenir, ne peut que se féliciter de l’intégration du corps des CPIP dans l’annexe du décret relatif aux Lignes Directrices de Gestion (LDG) et leur garantir ainsi un traitement équitable et transparent de leurs demandes de mutation, qu’en est-il des autres corps qui pourraient eux aussi y prétendre ? Pas plus d’ailleurs qu’au moment de la définition de cette annexe en 2019, aucune discussion n’a été engagée pour ces derniers cette année.

La réserve civile pénitentiaire constitue un autre point à l’ordre du jour. Si la CGT et le SM ont bien conscience des problématiques de pouvoir d’achat des personnels retraités, consécutif à un traitement indiciaire insuffisant au cours de la carrière professionnelle, le nombre de privé.es d’emploi est une problématique au moins aussi importante. Dès lors, comment cautionner et expliquer ce recours à la réserve pénitentiaire alors que cela pourrait donner lieu à des recrutements de fonctionnaires de manière pérenne ?

Que dire encore du rapport d’activité du collège de déontologie du ministère de la justice qui semble n’en avoir que le nom ? Le mode d’élaboration des avis rendus ou encore les saisines de plus en plus nombreuses à l’initiative de l’administration contre les communications des organisations syndicales, symbole du libre-exercice du droit syndical, sont des signes préoccupants de remises en cause d’un dialogue social d’ores et déjà mis à mal.

Enfin, que dire de l’index égalité professionnelle 2024 au sein du ministère de la justice ? S’il démontre -artificiellement- que l’égalité professionnelle évolue au sein de la fonction publique, cela ne doit en aucun cas masquer les carences encore béantes tant sur l’égalité professionnelle femme-homme que sur la prévention et le traitement des situations de violence sexiste ou sexuelle.

L’accord ministériel qui a été signé à l’unanimité des OS ministérielles l’a démontré ; le ministère de la Justice doit particulièrement progresser en ces domaines et ne peut en aucun cas se gargariser, peu importe la note obtenue dans le cadre de cet index.

Mais avant toute chose, il est un pré-requis qui doit être rappelé aujourd’hui : que les attaques subies par l’État de droit, qui n’est manifestement plus ni une évidence, ni une priorité pour une partie de l’exécutif, soit vigoureusement combattues par ceux qui ont pour mission de lui donner corps concrètement, en allant au-delà de la pétition de principe. La CGT et le SM y seront particulièrement attentifs.

Le 3 octobre 2024
Vos représentant.e.s CGT et SM

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