Ce mardi 28 février se tenait un Comité technique particulièrement important pour la CGT. En effet, indépendamment des discussions statutaires en cours, auxquelles nous prenons part, la CGT avait depuis longtemps décidé de faire venir un expert dans le domaine de la recherche universitaire internationale, pour que la direction de l’administration pénitentiaire prenne conscience des dérives sécuritaires dénoncées depuis maintenant deux ans ! Francesco Ragazzi, maître de conférence à l’Université de Leyde, chercheur associé à Sciences Po, qui a participé à la rédaction des Lignes directrices du Conseil de l’Europe à l’intention des Services Pénitentiaires et de Probation concernant la radicalisation et l’extrémisme violent, et en a rédigé les commentaires.
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Faut-il que la DAP entende une personne experte en la matière, extérieure à l’administration, pour qu’elle ouvre les yeux ? Ce qui est certain c’est que la CGT a ainsi tenté de parer aux certitudes pour continuer de questionner, et continuer de mettre en garde, contrairement à ce que voudrait la DAP en nous imposant l’omerta sur un sujet d’intérêt général.
Le moins que l’on puisse dire c’est que, passé le premier quart d’heure où le DAP devait sans doute répondre à certains mails, la CGT a senti comme un léger frémissement… subjugué ? vif intérêt ? dubitatif ?
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Mais en voici les grands axes – qui résonnent d’une manière saisissante tant la teneur conforte la position de la CGT.
Tout d’abord, il n’y a pas de consensus sur le concept de radicalisation, voire même il y a un consensus sur l’impossibilité scientifique de cerner avec rigueur et certitude le processus de radicalisation, tant les facteurs sont hétérogènes, complexes et multiples. Fort de ce constat, il est illusoire et vain de vouloir à tout prix standardiser et « coter » le risque de radicalisation : le mythe du prédictif doit donc bel et bien tomber ! Or, que fait à tout crin et dans une grande précipitation la DAP ? Elle impose des grilles de détection à tous les personnels avec des items aberrants et forme les personnels à des outils d’évaluation du risque… sans commentaire !
En revanche, il est prouvé que la multiplication des discriminations, que l’exclusion et le ressentiment sont des facteurs conductifs et aggravants de la radicalisation ; il est donc primordial que l’administration pénitentiaire respecte les libertés fondamentales ( respect de la vie privée, liberté de culte, liberté d’expression). Il s’agit d’ailleurs de l’article 1er des lignes directrices du conseil de l’Europe. Or, que fait à tout crin et dans une grande précipitation la DAP ? Elle voit en tout public pris en charge un potentiel radicalisé islamiste, elle utilise un champ sémantique à la limite de l’islamophobie, elle parle de « TIS » (terroriste islamiste) comme si cela était une qualification pénale, elle fait la chasse aux barbes longues en détention mais aussi parmi les personnels pénitentiaires, elle rédige des notes, beaucoup de notes, qui sont truffées de références à la religion musulmane… Ainsi pour l’administration pénitentiaire – et donc pour le ministère de la justice – le lien entre la religion musulmane et la violence politique est automatique, direct et évident. Pourtant, ce lien est contredit par l’ensemble des recherches internationales sur ce sujet ! Mais ce n’est pas grave : il faut faire pour faire et dire que l’on a fait, au risque d’aggraver durablement les discriminations et les atteintes aux libertés fondamentales !
Enfin, Francesco Ragazzi a longuement insisté sur l’importance de l’article 5 des lignes directrices qui est largement partagé au Conseil de l’Europe : l’indispensable autonomie et l’indépendance que doivent avoir les personnels chargés de la réinsertion des personnes pris en charge vis-à-vis des personnels chargés de la détection et de la collecte de renseignements. Francesco Raggazzi a effectivement alerté la DAP sur le risque de mélange de genres et la confusion des rôles qui mettent en danger la relation de confiance, outil pourtant essentiel des travailleurs sociaux pour leur métier. Or que fait à tout crin et dans une grande précipitation la DAP ? Une fois encore, elle rédige des notes, beaucoup de notes, qui à chaque fois demandent aux personnels d’insertion et de probation de répondre à la commande politique « du besoin d’en connaître », exigeant qu’ils participent à la détection et à la collecte de données à des fins de renseignement. Tout cela ne respecte pas le secret professionnel et la déontologie, qui commandent pourtant une transparence vis à vis de notre public.
On assiste donc à une inversion fondamentale qui va marquer profondément notre métier et notre identité, et va briser notre relation de confiance avec le public.
En effet, c’est une chose de faire un signalement en tant que professionnel à une autorité judiciaire lorsque nous rencontrons une situation alarmante (ce qu’ont toujours fait les professionnels des SPIP), c’en est une autre que de voir dans tous les suivis un potentiel radicalisé, et donc de ratisser largement pour faire remonter des informations afin d’alimenter le renseignement !
Pourtant la DAP fait mine de ne rien entendre et continue de foncer tête baissée.
Pour la CGT il est donc urgent de faire cesser ces dérives sécuritaires et elle appelle l’ensemble des personnels à continuer de se questionner pour résister ! Ces dérives sont dangereuses pour notre profession, mais aussi pour notre État de droit.
Montreuil, le 3 mars