Proposition de loi d’orientation et de programmation
pour le redressement de la Justice
Contribution de la CGT insertion probation
à Commission des lois du Sénat
La CGT insertion probation a été entendue le 4 octobre dernier par les rapporteurs de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la Justice, déposée par le sénateur de la Manche Philippe Bas (Les Républicains).
Cette proposition de loi fera l’objet d’un premier examen au Sénat le mardi 24 octobre. Elle s’appuie sur un rapport de la mission d’information de la commission des lois du Sénat intitulé « Cinq ans pour sauver la Justice ! », déposé peu de temps avant les élections présidentielles mais n’en reprend que les préconisations les plus sécuritaires.
La Ministre, qui vient de lancer 5 chantiers pour la Justice, dit elle aussi nourrir ses réflexions des préconisations de ce rapport, ces chantiers devront se tenir tambour battant dans les trois prochains mois.
La CGT insertion probation a participé à cette table ronde expéditive (30 minutes montre en main pour l’ensemble des intervenants) sur des enjeux essentiels de moyens de la Justice et de politique pénale. Une contribution écrite s’imposait donc pour réaffirmer nos positions et notre vision.
Un constat partagé sur le manque de moyens mais des solutions dangereuses et inadaptées
La CGT insertion probation partage le constat de l’indigence de la justice et de ses moyens, et principalement en ce qui concerne l’application et l’exécution des peines dont les personnels des Services pénitentiaires d’Insertion et de probation (SPIP) constituent un maillon essentiel.
Au-delà de ce constat la CGT partage également la nécessité d’accorder des moyens financiers et humains à la justice. Néanmoins, le contexte d’austérité qui est asséné comme une fatalité indépassable interroge sur le caractère illusoire de ce type de programmation budgétaire sans les moyens nécessaires par ailleurs pour les politiques publiques d’insertion, de santé, de logement …
La peine d’emprisonnement condamnée à rester la peine de référence
Une loi de programmation pour le redressement de la Justice sur le quinquennat 2018-2022 semble également une bonne orientation. Encore faut-il activer les bons leviers.
La proposition de construction de 15000 places supplémentaires de prison pour un budget de 900 000 000 euros montre que les enseignements du passé ne sont pas tirés. En effet, plus l’on construit de places plus l’on incarcère : il serait temps de rompre avec cette logique du tout carcéral d’autant plus qu’elle recourt quasi systématiquement au partenariat public privé véritable gouffre financier sur le long terme. Des augmentations de budgets doivent être utilisées pour rénover les places actuelles et il faut penser la prison autrement en multipliant notamment les activités à l’attention des personnes détenues. L’amélioration des conditions de détention doit être une priorité tout en visant également l’amélioration des conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Sur l’idée de repenser la peine, il est évident que le débat initié lors de la conférence de consensus n’a pas été jusqu’à son terme. Une véritable peine de probation autonome peut et doit être mise en œuvre en lieu et place de l’incarcération qui devrait être l’ultime recours et mais qui malheureusement reste encore la peine de référence.
Les aménagements de peine menacés et la peine de probation autonome toujours pas à l’horizon
L’article 27 prévoit notamment la suppression de la saisine obligatoire du juge de l’application des peines (JAP) après le prononcé d’une condamnation à une peine ferme inférieure à 2 ans ou 1 an en cas de récidive. Cette suppression est une grave erreur à notre sens. En effet, il apparait primordial dans un souci d’individualisation de la peine que soit maintenu ce passage devant le JAP puis le SPIP pour proposer une modalité d’exécution de la peine la plus adaptée personnalisée possible permettant un accompagnement et une insertion pérenne, gage d’une meilleure prévention de la commission d’une nouvelle infraction.
Permettre aux juridictions de jugement de déterminer a priori si une peine peut être aménagée ou non c’est ôter pour une question d’autorité le pouvoir d’individualisation du JAP et limiter de fait l’individualisation de la peine. Le JAP ne défait pas ce que la juridiction jugement décide ! Au contraire le JAP l’adapte à la situation sociale, matérielle et familiale du condamné. D’ailleurs la juridiction a adapté « sa jurisprudence » en fonction notamment des possibilités d’aménagement de peine octroyées au JAP.
Le temps de la condamnation dans le cadre d’une justice efficace (et non expéditive) doit être différencié du temps d’exécution qui nécessite un cheminement et la mise en place d’un projet d’insertion/réinsertion qui prend du temps. Le placement extérieur doit être encouragé de façon volontariste et le placement sous surveillance électronique, qui est par ailleurs un marché lucratif, ne peut être l’alpha et l’oméga des aménagements de peine.
Réduire à 1 an ou 6 mois pour les récidivistes le seuil du quantum de la peine aménageable est en totale contradiction avec la volonté affichée de déflation carcérale.
Par ailleurs la question des enquêtes présentencielles doit être repensée, et à cet égard la CGT insertion probation rappelle que l’exécution et l’application des peines doivent rester des missions régaliennes qui ne peuvent faire l’objet de délégation. Le partenariat associatif est indispensable dans la mise en œuvre concrète de l’insertion de notre public en tant que lien direct avec la société civile. L’effort budgétaire doit aussi porter sur ce réseau partenarial étoffé en lien avec des politiques publiques interministérielles à l’attention du public justice particulièrement vulnérable et fragilisé.
Sur la proposition de recourir plus systématiquement aux mandats de dépôt et à la détention provisoire pour assurer la mise à exécution immédiate des peines d’emprisonnement, il est évident que pour la CGT il s’agit d’une proposition sécuritaire absurde ! En effet cela revient à engendrer encore davantage de surpopulation carcérale. La détention provisoire et le mandat de dépôt doivent rester des mesures exceptionnelles dument motivées. Exécuter une peine rapidement ne lui confère pas davantage de sens, c’est son adaptation à la personnalité du condamné et les modalités d’exécution réfléchies qui lui donnent un sens.
Est évoqué l’ajournement de la décision après une période probatoire, l’ajournement avec mise à l’épreuve existe dans notre arsenal mais est très peu utilisé, une politique volontariste permettrait de redonner cours à cette mesure qui permet d’accompagner une personne condamnée en amont du prononcé de la peine puis durant sa peine. Cela rejoint l’idée selon laquelle la peine de probation a du sens indépendamment de la peine d’emprisonnement.
La mesure de contrainte pénale aurait pu aussi être une de ces mesures probatoires à condition de supprimer l’empilement de l’arsenal législatif en matière d’exécution des peines. La réforme pénale aurait dû aboutir à ce que la contrainte pénale supplante l’ensemble des peines de milieu ouvert pour permettre aux JAP et aux SPIP de redonner du sens et permettre un accompagnement socio éducatif à la hauteur du service public de la Justice. Restée au milieu du gué, la contrainte pénale telle qu’elle est prévue juridiquement aujourd’hui n’a aucun sens et peine à se développer véritablement. Pour la CGT c’est un gâchis !
Le suivi-socio judiciaire comme arme d’une société du contrôle : la justice prédictive en marche…
La proposition inscrite à l’article 28 visant à généraliser le suivi socio-judiciaire à l’ensemble des infractions est non seulement incompatible avec les moyens humains des SPIP mais aussi avec le principe de la proportionnalité de la peine et son individualisation. Aujourd’hui principalement prononcé pour des violences sexuelles, ce dispositif très strict et très contrôlé ne pourra être que contre-productif pour une très grande partie du public qui a besoin de souplesse et d’adaptation dans sa prise en charge.
Pire encore cela pose la question de la peine au-delà de la peine ! Il s’agit en effet de vouloir contrôler les personnes pendant 10 ou 20 ans alors même qu’elles auront déjà exécuté leur peine principale. Si la volonté est d’accompagner les personnes détenues à leur sortie, alors la voie de la libération conditionnelle automatique est bien plus opportune, adaptée et proportionnée à l’objectif de réinsertion sociale.
La question sous jacente est celle de la prédiction du risque d’un nouveau passage à l’acte fantasmant le rôle de la Justice, du JAP ou du CPIP comme un garant du risque zéro. La CGT se permet de rappeler une évidence : le risque zéro n’existe pas ! Il faut en finir avec l’idée que nous, travailleurs sociaux de la justice, pouvons par nos connaissances en criminologie éradiquer la récidive. Nous le rappelons, c’est le sentiment d’appartenance à la citoyenneté, le fait d’être socialement et économiquement inséré qui permet à une personne de ne plus réitérer des faits délictueux.
Ce temps d’accompagnement nécessite des moyens humains renforcés non seulement au niveau des Services d’application des peines mais aussi des SPIP.
Les urgences sont ailleurs : organigrammes, ratios et politique pénale humaniste
Il apparait urgent que l’administration pénitentiaire se dote d’organigrammes de référence pour avoir une visibilité réelle des charges de travail et établir des ratios de prise en charge pour chaque personnel œuvrant en SPIP. Les attentes des personnels sur ce point sont anciennes et devenues impératives.
Pour la CGT insertion probation le seul levier efficace et qui permettrait de réduire la population pénale et de redonner du sens à la peine est celui d’une politique pénale résolument humaniste et rompant avec les considérations passéistes d’une politique uniquement dissuasive, infamante et sur-pénalisante…