Nous ne reviendrons pas ici sur la méthodologie employée pour réfléchir sur ces 5 chantiers de la Justice qui s’inscrit dans la droite ligne du rouleau compresseur de CAP 2022, dévastateur pour els services publics et la fonction publique. La CGT a déjà communiqué dessus.[1]
DECRYPTAGE CHANTIERS JUSTICE CGT IP Février 2018VD
Le 5e chantier sur le « Sens et l’efficacité de la peine » portait sur les points suivants : repenser la détention provisoire, adopter une nouvelle conception de la peine, simplifier les procédures d’exécution et d’application de la peine, redéfinir le régime des certaines moyennes et longues peines.
Ces sujets sont essentiels mais ne pouvaient être abordés en profondeur avec seulement 3 mois.
« Il faut que la peine soit utile, il faut que la peine ait un sens. La peine d’emprisonnement est trop souvent l’unique réponse pénale possible à une infraction. La surpopulation carcérale est toujours très préoccupante. » Derrière ce message soutenu et revendiqué par la CGT insertion probation de longue date, les préconisations en revanche ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Le rapport s’appuie sur les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation pour mettre en œuvre une grande partie de ses préconisations. Il précise à plusieurs reprises la nécessité de renforcer en moyens humains et financiers ces services pour leur permettre de réaliser pleinement et efficacement leurs missions. La CGT Insertion Probation va plus loin, elle demande depuis des années, l’élaboration d’organigrammes de référence et de ratios de prise en charge pour tous les personnels des SPIP pour évaluer réellement les besoins humains et anticiper au mieux les vacances de postes. Sans cela les missions des SPIP, essentielles pour l’application des peines, ne pourront être exécutées correctement. [2]
REPENSER LA DETENTION PROVISOIRE
L’article 137 du code de procédure pénale est pourtant clair : « La personne mise en examen, présumée innocente demeure libre. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’elle peut être placée en détention provisoire (…) ».
Le nombre de prévenus dans les maisons d’arrêt est considérable et participe grandement à la surpopulation carcérale. Limiter son recours peut donc être le marqueur d’une vraie volonté politique de ne plus faire de l’emprisonnement la règle.
Le rapport préconise un temps d’investigation plus long, avec davantage de moyens, pour que le SPIP évalue et analyse les situations et personnalités le plus en amont dans chaque procédure. Cette démarche est indispensable pour aider à la prise de décision judiciaire davantage orientée vers l’assignation à résidence sous surveillance électronique ou le contrôle judiciaire.
Pour se faire, il est préconisé qu’un dossier unique de personnalité soit créé, remis régulièrement à jour, et consultables par tous les acteurs judiciaires compétents, dans le respect des règles de communication d’informations personnelles et de respect des libertés individuelles. Sur ce point, la CGT insertion probation sera très vigilante : derrière ce dossier unique peuvent se cacher des interconnexions de fichiers et des atteintes au secret professionnel, d’autant plus dangereuses dans un contexte sécuritaire (arrestations aux abords des SPIP, renseignement pénitentiaire…).
Il est également envisagé de relever le seuil d’emprisonnement encouru pour pouvoir prononcer une détention provisoire. Par ailleurs, un réexamen des critères d’octroi de la détention provisoire est recommandé afin de limiter les interprétations non juridiques de la situation (ex : risque de renouvellement de l’infraction).
L’arsenal juridique existe déjà, le contrôle judiciaire est sous utilisé, au profit trop souvent de la détention provisoire. L’assignation à résidence (ARSE) est une alternative trompe-l’œil qui vient davantage être une alternative à la liberté qu’à l’emprisonnement.
Il est impératif que la détention provisoire soir le dernier recours et non le principe.
Il est enfin souhaité qu’un recrutement conséquent de magistrats (et de greffiers) soit réalisé afin que la justice pénale soit moins longue.
La CGT Insertion Probation réitère sa revendication de ne plus faire de l’emprisonnement une peine de référence, ceci est valable tant pour le pré-sentenciel que le post-sentenciel.
ADOPTER UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA PEINE
Si la peine d’emprisonnement est la référence en matière criminelle, il est davantage contestable qu’elle le soit en matière délictuelle. C’est l’aberration d’une politique pénale qui à ce jour ne vise pas la réinsertion mais la mise à l’écart des délinquants.
Les éléments de personnalité sont indispensables pour une meilleure individualisation de la peine. Tout comme pour le pré-sentenciel, il est recommandé de prendre davantage de temps pour enquêter sur la personne et son environnement au moment du procès.
Il est donc préconisé que l’ajournement du prononcé de la peine soit utilisé aux fins d’investigations sur la situation matérielle, familiale et sociale de la personne prévenue.
Lors du projet de Loi Taubira en 2014, la CGT Insertion Probation avait porté la création d’une peine de probation ambitieuse, qui remplacerait les peines alternatives à l’incarcération existantes, sans aucune référence à l’emprisonnement. Au lieu de cela la loi du 15 Août 2014 a créé une peine de contrainte pénale en sus des peines déjà existantes. Cet empilement des peines a conduit à un faible recours à la contrainte pénale. Le rapport des chantiers justice prévoit une fusion de la contrainte pénale et du sursis avec mise à l’épreuve pour ne former qu’une seule peine de probation.
Pour la CGT Insertion Probation, cette proposition est une bonne chose, si toutefois elle n’était pas rattrapée par un manque d’ambition en laissant une possibilité aux juridictions de faire une référence à l’emprisonnement. En effet la peine de probation pourra être autonome ou assortie d’une peine d’emprisonnement. Par ailleurs, la peine de probation pourra non seulement fusionner avec le SME mais aussi le sursis TIG, puisque le TIG peut être une modalité d’exécution.
http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2016/11/reforme-penale-1.pdf
Ensuite, le rapport envisage une diversification des autres peines.
Tout d’abord est confirmée la création d’une agence nationale du TIG. La CGT Insertion Probation réaffirme son opposition à la privatisation d’une partie des missions des SPIP. Un communiqué national est dédié à cette question. [3] Davantage de moyens doivent être donnés aux SPIP pour exercer toutes leurs missions dans de bonnes conditions.
S’appuyant sur un rapport de décembre 2015 « Pour une refonte du droit des peines », les auteurs de celui sur les chantiers justice proposent de faire du placement sous surveillance électronique une peine autonome, pour une durée de deux années, maximum. Alors qu’ils reconnaissent le caractère très contraignant de cette peine, les rapporteurs proposent d’en élargir l’utilisation.
La CGT Insertion probation s’insurge contre le puissant lobby du PSE, faisant disparaître l’intérêt pour les autres mesures d’aménagement de peine comme le placement à l’extérieur. Ce dernier voit ses budgets réduire comme une peau de chagrin, alors qu’il a le mérite de proposer un véritable accompagnement individualisé, répondant aux difficultés et problématiques de la personne. Il n’exclut pas les marginaux, les personnes ne bénéficiant pas d’un soutien réel à l’extérieur, les personnes ayant une ou plusieurs addictions… Le placement sous surveillance électronique n’est pas adapté pour tous nos publics, et peut parfois les mettre en danger (isolement, peu de sorties en l’absence d’activité professionnelle, risque de décompensation psychiatrique, risque de violences…).
Enfin les rapporteurs proposent un développement des peines d’amendes, jour-amendes, stages et interdictions. Cet arsenal manquerait de clarté et lisibilité.
Pour ces mesures il est indispensable de rappeler que nombreux sont les justiciables en situation de grande précarité. Les peines d’amendes et jour-amendes s’adressent donc davantage à des publics insérés. Pour les peines d’interdiction, c’est le contrôle du respect de ces interdictions qui est questionnable. Qui doit le faire et comment pour que ces peines aient du sens. Enfin concernant les stages, il est évident qu’il faut assurer la pérennité des subventions destinées aux associations habilitées pour ne pas entraîner de vraies disparités sur le territoire, et par voie de conséquence une inégalité de traitement entre justiciables en fonction du territoire sur lequel ils se trouvent.
Le rapport chantier justice propose donc une réécriture de l’échelle des peines :
- L’emprisonnement
- La détention à domicile sous surveillance électronique
- La peine de probation
- Le travail d’intérêt général
- Amendes et jour-amendes
- Stages
- Interdictions
Le rapport affirme la nécessité de réduire les cas d’emprisonnement pour les courtes peines. Pour la CGT Insertion Probation, l’incarcération ne devrait même pas être envisagée pour les courtes peines, tant leur effet désocialisant est important. Pourquoi une réponse pénale systématique à n’importe quel fait ? Avant de réfléchir à vider les prisons par les procédures d’aménagement de peine, il faut réfléchir aux causes de la surpopulation carcérale et au sens des condamnations. La peine doit viser la réinsertion, la réinscription de la personne dans le corps social.
Le rapport préconise l’interdiction des peines inférieures à un mois d’emprisonnement. Pourquoi ne pas aller un peu plus loin ?
Il réaffirme le principe que lorsque les peines sont inférieures à 6 mois ou lorsque le reliquat de la peine est inférieur à 6 mois, elles doivent être exécutées sous la forme d’un aménagement de peine.
Dans le même sens le rapport recommande une utilisation plus importante des juridictions de l’aménagement de peine ab initio.
En revanche les rapporteurs souhaitent réduire le champ de la procédure de l’article 723-15 du CPP. En effet, actuellement, les justiciables condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans, sans mandat de dépôt, peuvent être examinés dans le cadre de cette procédure et bénéficier d’un aménagement de leur peine. Les personnes récidivistes voient ce seuil réduit à un an.
Le rapport préconise une réduction de ce seuil à un an pour tous.
Cela est totalement incohérent avec la volonté de lutter contre la surpopulation carcérale.
Une dernière mesure et non des moindres est envisagée : rendre la libération conditionnelle automatique au 2/3 de peine sauf avis contraire du juge de l’application des peines.
La CGT Insertion Probation milite de longue date pour l’automaticité de la libération conditionnelle à mi peine. En effet une telle mesure marque la volonté d’anticiper au plus tôt et de donner les moyens nécessaires pour préparer sérieusement la réinsertion de la personne détenue et sa sortie. Seule cette mesure permettra de redonner ses lettres de noblesse à la réinsertion des personnes détenues. Nous regrettons néanmoins que soit déjà envisagé au stade de ce rapport, la possibilité d’exclure certaines infractions de ce dispositif. Cela marque un retour en arrière sur la volonté d’anticiper et préparer les sorties des personnes détenues. Cela vient relativiser également la volonté d’individualiser l’exécution d’une peine au regard des efforts et des évolutions favorables d’une personne, si elle est réduite aux faits qu’elle a commis.
Le fait de ne plus prendre en compte la récidive au stade post-sentenciel est aussi une évolution favorable. Cela permet de se concentrer sur la situation globale de la personne non de rester bloqué sur les faits commis.
SIMPLIFIER
Ce paragraphe du rapport est plus large dans les propositions car il nécessite un vrai travail de fond pour redonner sa cohérence au droit pénal et au droit de la peine.
L’inflation législative depuis le début des années 2000 a conduit à une cacophonie dans la procédure pénale.
La CGT Insertion Probation encourage cette volonté politique, indispensable pour redonner du sens à l’exécution de la peine.
Parmi les préconisations importantes, les rapporteurs appellent de leurs vœux une restructuration du code pénal et du code de procédure pénale. Ils demandent également une clarification et une précision des attributions entre JAP et TAP.
La volonté d’édiction de règles communes pour les aménagements de peine risque de se heurter à l’indépendance des magistrats.
Le rapport propose une simplification et une unification du régime des permissions de sortie, une simplification du traitement des requêtes post-sentencielles (comme la désinscription du casier judiciaire), la réforme de la procédure de la réhabilitation judiciaire et la simplification de la procédure de confusion de peine.
Si certaines propositions sont appelées de nos vœux, redonner du sens à l’exécution de la peine, traiter dans un délai raisonnable les requêtes, redonner de l’efficacité et du sens aux permissions de sortir, demandes de confusion de peine, nous attendons de voir de quelle manière cela se traduira dans un projet de loi.
REDEFINIR LE REGIME DE CERTAINES MOYENNES ET LONGUES PEINES
Le rapport réitère le questionnement quant à la nature juridique de la rétention et de la surveillance de sûreté.
Pour la CGT Insertion Probation, il ne s’agit plus de se questionner mais d’abroger un régime de détention attentatoire aux droits et libertés fondamentaux. Alors qu’un principe fondamental du droit est de ne pas être condamné deux fois pour les mêmes faits, notre droit pénal français permet encore actuellement de maintenir une personne enfermée au-delà de la durée de sa peine au motif qu’elle présenterait un risque élevé de dangerosité.
Au sujet des réclusionnaires à perpétuité, des pistes vagues sont envisagées pour tenter de les inscrire dans un projet de réinsertion le plus tôt possible. Mais cela reste flou.
Pour la CGT Insertion Probation, ce sujet des longues peines est survolé et mérite davantage d’attention.
La peine doit retrouver son objectif de réinsertion des personnes dans le corps social. C’est cet objectif qui permet de prévenir au mieux la réitération de nouvelles infractions ! La politique de réponse pénale à tout prix est un leurre: loin de protéger davantage la population, elle est expéditive, vide de sens. La comparution immédiate en est le triste exemple.
C’est bien l’ensemble de la politique pénale qu’il faut revoir et ne pas envisager la réponse pénale comme la solution systématique.
Sous la pression politique et de l’opinion publique, dont certains savent instrumentaliser les peurs, de nombreux comportements ont été pénalisés, les peines se sont allongées et les alternatives à l’emprisonnement deviennent de plus en plus des alternatives à la liberté.
Aujourd’hui, il est impératif de véritablement réfléchir à des dépénalisations de certains comportements (usage de stupéfiants, sans papiers…) et à mettre en œuvre de véritables politiques publiques ambitieuses de santé, de prévention, de solidarité en lieu et place de la fuite en avant répressive…
La justice pénale ne peut résoudre tous les maux de la société.
[1] http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2017/10/chantiers-justice-1.pdf
http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2018/01/Version-lissée-chantiers-justice.pdf
[2] http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2017/11/Contribution-Commission-des-lois-Senat-PLF-2018.pdf
[3] http://www.cgtspip.org/travail-dinteret-general-ou-travail-dinterets-prives/