La CGT Insertion Probation a été reçue le 09 février 2015 en audience bilatérale par la DAP, sur le projet de Manuel de mise en œuvre de la contrainte pénale. Étaient présents pour la CGT les quatre titulaires au CT-SPIP ; pour l’administration le directeur de projet chargé des SPIP et les deux CPIP qui travaillent en collaboration avec lui sur cette question.
En préambule, la CGT a indiqué que, si elle pouvait parfois comprendre l’intérêt d’audiences bilatérales par le passé, elles n’avaient plus lieu d’être depuis la création du CT-SPIP. C’est celui-ci, et lui seul, qui doit être aujourd’hui l’instance du dialogue social concernant les questions des SPIP. Nous avons donc prévenu l’administration que nous ne nous déplacerions plus pour ce type d’audience, car le débat doit s’installer là où il doit avoir lieu : devant la totalité des représentants des personnels, en tenant compte de leur représentativité, et en toute transparence – car rien de tel que des bilatérales pour scinder, figer, et interpréter l’expression des organisations syndicales.
L’administration souhaitait entendre nos observations concernant les 57 pages (sic !) qui constituent le Manuel – sous-titré « Evaluation initiale et continue, processus de suivi. » On ne le détaillera pas ici, et on se contentera d’en citer deux notes de bas de page :
– P. 2, note 3 : “James Bonta, Guy Bourgon, Tanya Rugge, Terri-Lynne Scott, Annie K. Yessine, Leticia Guttierez & Jobina Li, The Strategic Training Initiative Community Supervision : Risk-Need-Responsivity in the Real world, Public Safety Canada, 2010” ;
– P. 49, note 41 : “Indicateurs issus de l’ISR-R1, du FACILES RX, de l’IREC, SARA, HCR20, Statique 99, LS/CMI, SAPROF.”
Cela montre assez à notre sens où en est la DAP : dans de la pseudo-ingénierie anglo-saxonne sur le modèle du RBR pur et dur (Risques Besoins Réceptivité), où l’on peine à reconnaître notre métier et notre public, où l’on assiste à la création ex nihilo d’un nouveau corps de professionnels qui s’invente en direct sur des bases théoriques extrêmement discutables et discutées. C’est donc à ce niveau que nous avons voulu nous situer : celui de l’idéologie qui a présidé à l’établissement de ce manuel. Mais nous n’en saurons pas davantage car à la question de savoir pourquoi l’administration a choisi ce modèle théorique plutôt qu’un autre, la réponse a été : « parce qu’il faut bien faire un choix. » Certes…
La CGT a donc souligné plusieurs choses :
- D’abord que nous n’avons pas dû assister à la même Conférence de consensus en février 2013, car là où les tenants du modèle canadien et les partisans du RBR eux-mêmes appelaient à la plus grande prudence quant à l’application et l’importation d’un modèle étranger, vendu tel quel et immédiatement disponible, il semble que la DAP l’ait aujourd’hui oublié. La nuance qui tient à une culture différente, les nécessaires études socio-économiques et démographiques qui permettent la transposition d’outils et de méthodologies d’intervention – quoi qu’est-ce ? On voit pas…
- Il est faux de faire croire qu’on doit aller chercher ailleurs ce qui n’existe pas en France. Au contraire, au moment même où se développent les recherches françaises sur la probation, et au moment où il serait possible de créer des ponts avec les universités françaises, il n’en n’est rien pour la DAP : il est urgent de se saisir d’études qui concernent la province du Manitoba au Canada en 2004 (Manuel, p.15).
- L’ADN des CPIP, qu’on le veuille ou non, est encore aujourd’hui dans le travail social et ses méthodologies d’intervention. Ce n’est pas une posture idéologique, mais notre réalité quotidienne qui tient à notre public. Il est le même que celui des autres travailleurs sociaux, de l’ASE aux CHRS en passant par les services de tutelles et le RSA ! C’est s’aveugler que de ne pas reconnaître que ce sont nos partenaires privilégiés, et il serait dangereux de nous couper totalement des liens qui nous unissent encore ! D’autre part, la CGT ose encore l’affirmer : oui, le passage à l’acte délictueux a des causes sociales, économiques, environnementales, etc. Le « phénomène délinquant » n’est pas qu’une affaire de « personnalité antisociale », d’« attitudes procriminelles » favorisées par les « pairs délinquants », qui nécessite d’« agir sur les besoins criminogènes » en plaçant « l’intervention du CPIP en faveur de la conscientisation […] du problème et de ses conséquences » (sic). Le justiciable confié au SPIP n’est pas un déviant qu’il suffirait de redresser, et la situation sociale doit être appréciée dans sa globalité. Il nous a paru également nécessaire de redire que notre public est loin d’être homogène contrairement à ce que ce manuel tente de faire croire.
- Sur l’évaluation dont il est question toujours et partout : celle-ci est inhérente à toute intervention en travail social. On voit mal comment il est possible de travailler avec quelqu’un dont on n’a pas précédemment évalué la situation. Elle fait partie de nos pratiques professionnelles, et n’a donc pas vocation à être à ce titre un lieu de débat. Elle ne doit cependant pas être une fin en soi, et plutôt que de nous centrer sur l’évaluation des publics, il est préférable de se concentrer sur la prise en charge qui en découle – car là est à notre avis le nœud du problème.
La CGT n’est pas dupe ! La DAP est en train d’entreprendre une refonte totale du métier, qui devra déboucher sur une nouvelle circulaire d’application des missions des SPIP. C’est pourquoi l’administration a plutôt cherché les points de convergence lors de cette audience. Ils existent sans doute, mais sont tout de même peu nombreux !
Pour la CGT, les choses apparaissent trop avancées pour qu’elles soient discutables : le manuel n’est pas un « projet » à amender tant il tient debout tout seul. Le dossier documentaire de ce manuel date de mars 2014 ce qui montre bien que cela fait longtemps que l’administration bosse dessus sans concertation ! On y apprend que l’ENAP procède déjà à des formations sur le RBR et sur le « what works ». Il est fait référence au programme « Parcours » que vend Denis Lafortune à l’administration, ainsi que sa recherche-action PREVA qui doit expérimenter les outils d’évaluation actuariels.
Tout va de pair, tout est lancé, les crédits sont débloqués. Il semble que les conclusions de la recherche-action ne soient tirées avant même que cette dernière n’ait débutée.
Mais l’administration ose nous dire que tout est négociable, expérimental, et qu’aucune discussion n’est fermée !
Parfait ! Alors voilà ce sur quoi la CGT ne reculera pas.
- La CGT souhaite donc discuter des postulats théoriques qui sont aujourd’hui choisis par l’administration !
- La CGT souhaite qu’on procède à l’envers : plutôt que de penser une méthodologie d’intervention, puis un métier, il conviendrait d’adosser d’abord la profession à une identité professionnelle forte ! C’est pourquoi nous avons redit notre souhait d’avoir un code de déontologie digne de ce nom : simple, qui fasse consensus, 2 pages et 20 règles qui permettent à tous de se retrouver dans un métier commun, à l’image de ce qu’il existe pour les autres travailleurs sociaux. Nous savons que la profession est aujourd’hui perdue, tant elle a dû subir des injonctions paradoxales ; la circulaire de 2008 est à l’origine de cette perte de repères, mais il ne faut pas qu’une nouvelle circulaire vienne la perdre encore davantage !
- Des organigrammes, un état des lieux des services, une gestion RH des SPIP moins indigente – voilà pour le quantitatif ; un code de déontologie et une réflexion de fond sur ce que doivent faire les CPIP – voilà pour le qualitatif. Ensuite les méthodologies d’intervention et l’artillerie lourde !
- La CGT souhaite, qu’une fois définies les attentes, on se penche aussi sur le recrutement et la formation, car d’eux dépendent aussi l’avenir de la profession !
- Oui, tout comme la prison, les SPIP doivent aussi s’ouvrir sur l’extérieur ! Nous nous méfions de la « pénitentiarisation » des esprits, et nous pensons qu’il est évident qu’il faut créer du lien. La CGT souhaite que des passerelles soient faites avec les IRTS (Institut régional de travail social), le monde de la recherche universitaire, et plus généralement avec tous ceux qui peuvent enrichir les missions et les interventions des professionnels des SPIP !
Nous avons dit à l’administration qu’elle allait droit dans le mur ! On n’impose pas du jour au lendemain à 3000 personnes de travailler à partir d’un modèle culturel et pénal radicalement étranger ! On n’impose pas à 3000 personnes, par le biais d’une circulaire de devenir des criminologues canadiens ! On ne joue pas aux apprentis sorciers en créant un monstre administratif sorti de nulle part !
IL EST URGENT QUE LA PROFESSION PRENNE AUJOURD’HUI SON DESTIN EN MAIN, ET COMPRENNE CE QU’ON LUI PRÉPARE !
20150217 la DAP va dans le mur! document imprimable
Quand la DAP fait de la science fiction avec son projet de manuel contrainte pénale : c’est par là : Projet de manuel de contrainte pénale et science fiction
Montreuil, le 16 février 2015