La CGT IP a été reçue vendredi 3 novembre par le rapporteur de la commission des lois du Sénat pour aborder le projet de loi de finances et plus particulièrement le budget alloué à l’Administration pénitentiaire (dit budget 107) pour l’année 2024.
L’occasion pour notre syndicat de pointer les incohérences, les défaillances et les effets délétères des politiques menées par notre ministère et notre administration pour les SPIP, ses agent.es ou encore pour la réinsertion des publics qui nous sont confiés.
Alors que le Ministre de la justice se targue d’une nouvelle augmentation historique du budget de la justice (+ 5,3%), celui de la DAP stagne purement et simplement …
Alors que 2023 a mis au centre des débats la question de la surpopulation carcérale, du sens de la peine, de la politique d’exécution des peines ou encore du développement des alternatives à l’incarcération et donc du rôle essentiel des SPIP en la matière, comme en témoignent les nombreux rapports institutionnels sur le sujet (Sénat, Assemblée nationale, CESE, Cour des comptes), les SPIP sont purement et simplement inexistants du discours du ministère et de ce PLF …
Alors que la surpopulation carcérale bat de nouveaux records au fil des mois, faisant la honte de notre pays, et malgré le constat d’une prison désocialisante et inhumaine, à la DAP et au Ministère le tout-carcéral a encore de beaux jours devant lui …
Alors que les charges de travail explosent, que les injonctions contradictoires se multiplient et que les agent.es des SPIP y perdent leur santé et le sens de leur intervention, les renforts en personnels et leur (re)valorisation ne sont pas au rendez-vous…
Si le but est de laisser mourir le service public au profit de l’associatif concurrentiel ou de la délégation à outrance des missions des SPIP, alors le budget envisagé est cohérent. Sinon…
La CGT IP dénonce l’absence totale, injustifiée et injustifiable, de création de postes , tous corps confondus dans les SPIP,
Avec la création de 2110 postes au ministère de la justice dont 599 pour l’administration pénitentiaire, nous aurions pu légitimement espérer que les SPIP se voient doter de renforts puisque de l’aveu de tous, le nombre de personnes prises en charge ne cesse de croître et que, sauf à faire preuve d’une mauvaise foi caractérisée, les effectifs de référence ne seront pas atteints à l’échéance 2024 (ni après vraisemblablement hélas) ;
Pourtant il n’en est rien : pas 1 poste d’adjoint.e administratif.ve, de CPIP, de DPIP, d’ASS, de psychologue, de SA, d’attaché.e ne sera donc créé en SPIP. La DAP n’est rien allée chercher pour les SPIP (si tant est qu’elle ait eu envie de les obtenir) et ne semble pas s’en formaliser.
Cela alors même que lorsqu’il s’agit d’anticiper les dérives sécuritaires qui auront cours pendant les JO de Paris, des crédits sont dégagés par le Ministère pour créer des postes dédiés uniquement à la gestion de ces JO… Décidément la devise plus vite, plus haut, plus fort ne colle donc qu’à l’incongru et au ridicule dans ce Ministère…
La CGT IP dénonce une politique centrée et obnubilée par la prison !
En consacrant 341M d’euros à la construction de nouveaux établissements , la DAP et le Ministère persistent et signent dans une course à l’échalote et une politique de la pensée magique qui révèle pourtant depuis des années son inefficacité à lutter contre la surpopulation carcérale et les conditions aussi indignes qu’inhumaines en détention.
Plus on construit, plus on incarcère c’est une réalité.
Pire ; plus on construit, plus on renforce l’illusion de l’emprisonnement comme peine utile en toute circonstance . Plus on alloue de budget à la construction de places de prison, plus on réduit à peau de chagrin le budget alloué à la réinsertion, la préparation à la sortie, aux activités, aux prises en charge éducative, sanitaire ou sociale, aggravant ainsi le mal profond existant.
Plus on concentre les moyens sur les établissements, plus on méconnaît un pan tout aussi important de l’action du SPIP visant à garantir un accompagnement socio-éducatif adapté et individualisé aux 180 000 personnes suivies en milieu ouvert.
La CGT IP ne cessera de le répéter , il est plus qu’urgent que notre administration et notre ministère changent de cap et cessent de se faire l’antichambre d’une politique sécuritaire et répressive. Il est plus que temps d’engager enfin une réflexion globale sur les politiques pénales et pénitentiaires. La désinflation carcérale ne naîtra que d’une remise en question de l’inflation pénale chronique dans laquelle nous baignons (peines plus longues, plus sévères, plus d’infractions … ). L’emprisonnement ne peut et ne doit plus être la peine de référence. La démonstration de force et de moyens doit se faire pour accompagner nos publics et leur proposer une prise en charge adaptée à leurs besoins.
La CGT IP dénonce un discours de façade quant à l’importance de la mission de réinsertion et des moyens engagés !
Comment donner du crédit à une administration qui se dit attachée à sa mission de réinsertion et à la place grandissante que doit occuper le milieu ouvert dan la politique pénitentiaire quand on voit que le budget t alloué à la sécurisation des établissements (drones, caméras piéton, vidéosurveillances) est en hausse de 9 % alors que celui alloué à la réinsertion plafonne à 122M .
Comment ne pas y voir pourtant un désengagement de notre administration quand le budget n’augmentera pas alors que le nombre de personnes prises en charge ne cesse lui d’augmenter, MO & MF confondus, alors que la précarité et les fragilités de nos publics sont de plus en plus exacerbées ! A moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle manœuvre pour ouvrir encore plus grande la porte à l’associatif toujours en embuscade pour grignoter les missions du SPIP et d’accompagnement de nos publics.
En misant gros une nouvelle fois sur l’unique prisme de la réinsertion par le travail (travail en détention, formation, bilan socio-professionnel …), la DAP persiste à ignorer l’expertise des agent.es et les besoins prioritaires identifiés auprès de notre public : logement, addiction, santé physique et psychique, isolement social …
Et ce n’est pas l’absence de recrutements d’ASS ou de psychologues en SPIP qui viendront contredire cet état de fait !
Ce n’est pas davantage le transfert grandissant de personnes détenues relevant des Maisons d’Arrêt vers les Centres de Détention, obligeant par là même les personnels des établissements et des SPIP des CD, épargnés jusqu’alors, à gérer du flux et de l’urgence qui vont y contribuer.
La CGT IP dénonce un détournement de la politique d’aménagement de peine au profit d’une surveillance toujours plus accrue !
LPJ, loi confiance, les réformes se succèdent et le Ministère assure s’engager ardemment depuis plusieurs années dans une politique ambitieuse et volontariste de développement des aménagements de peine.
Le budget 2024 nous laisse pourtant pantois face à la faiblesse des moyens alloués et le détournement opéré vers toujours plus de surveillance.
C’est ainsi plus de 70 % des moyens qui sont consacrés à la surveillance électronique, dont plus 10M pour le BAR qui n’est même pas une mesure d’aménagement de peine !
Véritable méconnaissance du sujet ou volonté de recentrer l’action du SPIP sur le contrôle chacun se fera son idée.
Ce n’est pas le budget alloué au placement extérieur qui viendra renverser la vapeur puisque contrairement aux déclarations d’intention de la DAP qui répète à l’envi sa volonté de développer le PE, le budget diminue purement et simplement. Cherchez l’erreur !
La CGT IP le réaffirme, face à un public de plus en plus précarisé et fragilisé, l’administration doit investir dans les mesures les plus soutenantes et non plus dans cet ersatz de prison à domicile qu’est la surveillance électronique.
La CGT IP dénonce l’insuffisance des mesures de revalorisations des personnels des SPIP !
La part du budget consacrée au plan de requalification des Adjoints Administratifs vers le corps des Secrétaires Administratifs est famélique et démontre bien, pour celles et ceux qui l’espéraient encore, que les promotions se limiteront à peau de chagrin. Le message envoyé aux personnels qui s’investissent au quotidien sur des fonctions de SA est tout simplement méprisant.
Ce budget ne vient pas davantage résoudre l’amputation injuste d’IFSE imposée aux corps communs exerçant à la DAP malgré les annonces faites par le garde des Sceaux l’année passée.
Pour le reste, rien ou presque si ce n’est les engagements déjà pris et qui concernent la revalorisation des DPIP ou du corps du CEA dans le cadre de revalorisations statutaires…
Il n’y a donc aucune ambition de la DAP à valoriser et revaloriser ses personnels … affligeant pour des personnels, de tout corps, qui font face à une charge de travail indécente et qui malgré un manque de moyens matériels et RH suffisants, permettent tout de même, par leur sens du métier comme du service public, de prendre en charge l’ensemble des personnes confiées et assumer les missions du SPIP et d’un service public de proximité.
Pour la CGT IP, ce budget 2024 est l’aveu d’une administration qui se replie sur elle-même,, autocentrée sur le tout-carcéral et d’un ministère, aux bottes de l’Intérieur, incapable de se décentrer des logiques sécuritaires et punitives dans lesquelles il s’enfonce de plus en plus.
Pire pour la CGT IP, ce budget est un véritable mépris de l’action des SPIP et de ces personnels !
Et si la seule réelle leçon à tirer de ce budget 2024 qui se profile était que non, contrairement à ce que l’AP ne cesse de prétendre, elle ne marche pas sur deux jambes puisque l’une d’elle a un boulet au pied … et si ce boulet était la DAP elle-même ?
Montreuil, le 12 novembre 2023