Jeudi 22 janvier 2015, la CGT insertion probation a été reçue en audience bilatérale par deux conseillers du cabinet de la Garde des Sceaux (la conseillère pénitentiaire et le conseiller budget, immobilier modernisation) sur la question de la radicalisation extrême faisant suite aux annonces faites la veille par le Premier Ministre.
La CGT insertion probation a rappelé que les attentats de début janvier ont touché chacune et chacun d’entre nous.
La CGT, qui défend l’exercice des libertés fondamentales comme la liberté d’expression ainsi que toutes les valeurs sur lesquelles repose le vivre ensemble, qui lutte contre toutes formes d’extrémismes et de discriminations, est naturellement concernée et mobilisée.
Toute la CGT est debout pour exprimer sa solidarité, mais également debout pour ne pas laisser l’émotion que suscitent ces événements entraîner une énième vague sécuritaire.
A prendre des décisions hâtives, le piège est de renoncer aux libertés fondamentales tout en croyant les défendre ! Le gouvernement prend ce chemin à n’en pas douter !
Dans sa conférence de presse, le premier ministre a confirmé les réactions sécuritaires déjà présentes au moment de son discours à l’assemblée nationale du 13 janvier, et y a apporté des éléments chiffrés sur les enveloppes budgétaires qui seraient débloquées pour la lutte contre le terrorisme.
En ce qui concerne la Justice ce sont 950 emplois et 181 millions d’euros pour le fonctionnement, l’immobilier et les investissements sur 3 ans qui ont été arrêtés. Aucune répartition entre les différentes directions n’est avancée et des arbitrages sont encore en cours.
Au sein de l’administration pénitentiaire, il nous est assuré que ces emplois concerneront les établissements mais également les services pénitentiaires d’insertion et de probation, et qu’ils sont en plus de ceux prévus à l’occasion de la réforme pénale. Pour autant, la politique d’austérité demeure et le niveau du budget de l’Etat doit rester le même. Il faudra donc réduire les effectifs ailleurs, et opérer de plus en plus de restrictions dans tous les ministères – y compris ceux considérés comme prioritaires. On nous fait miroiter en septembre prochain un éventuel collectif budgétaire, mais avec tellement de « si » que nous ne sommes pas dupes !
Le constat est implacable : il n’y a aucune remise en cause des choix de casse générale du service public et pas un centime d’euro pour la réduction des inégalités sociales, qui restera une simple et timide déclaration d’intention.
L’exemple le plus flagrant des réponses prises dans l’urgence et sans aucun recul est celui du regroupement des « radicaux islamistes » dans des quartiers spécifiques – à l’image de la très récente expérimentation à Fresnes. Personne n’est vraiment sûr que ce soit une bonne idée, mais comme c’est une mesure facile à sortir du chapeau elle est mise en avant et généralisée. Preuve en est que le ministère lui-même n’est pas tout à fait convaincu de la pertinence de ce choix : une inspection est lancée à ce sujet. A l’heure du « tout évaluation », force est en effet de constater qu’aucun retour d’expérience n’est à noter sur ce site, et qu’aucun argument de fond n’a encore été mis en avant pour justifier positivement de ce dispositif. Pour autant, ce seront 4 nouveaux quartiers qui ouvriront afin d’accueillir ces publics. Même si le ministère assure qu’il ne s’agira pas d’un régime différent de détention, il le sera de fait par un accès aux activités très restreint et des perspectives de sortir de logiques d’embrigadement encore plus réduites. Les détenus ainsi isolés du reste de la population pénale ne pourront qu’être renforcés dans leur radicalisation par la stigmatisation et les effets de groupe que l’administration aura elle-même générés.
La CGT se montre dubitative s’il s’agit de lutter contre l’enferment mental par encore plus d’enfermement !
La CGT insertion probation alerte donc contre les risques de tels choix, et rappelle son opposition à toute forme de retour déguisé à des quartiers de haute sécurité.
La CGT porte une toute autre vision de ce que devrait être la prison.
De façon générale, la prison ne doit plus constituer la réponse pénale principale et son recours doit être réduit au strict nécessaire. La réforme pénale, bien qu’insuffisante pour réaliser ce changement de paradigme, a néanmoins entre-ouvert les possibilités d’une autre politique pénale. Le cabinet nous confirme que rien n’est remis en cause pour la mise en œuvre de la réforme pénale. Cependant, on assiste à des mouvements contradictoires, à une justice expéditive et répressive (ré-)activée par la loi du 13 novembre 2014 et les instructions aux magistrats du 12 janvier 2015 (recours frénétique à la comparution immédiate).
Plus particulièrement, la prison, au lieu de multiplier les cloisonnements et les strates de l’enfermement, doit offrir le maximum de possibilités en termes d’activités et de perspectives de sortie, pour ne pas davantage creuser les inégalités sociales et économiques et être ainsi le terreau de multiples formes d’extrémismes. On sait que ces quartiers « ghettos » au sein des détentions constituent pour les pouvoirs publics une solution de facilité qui rassure l’opinion publique, alors que bien d’autres voix sont possibles : favoriser la parole des détenus pour les associer davantage à leur vie quotidienne, améliorer réellement leur conditions de détention, et, surtout, travailler en la matière aux causes de ces types de radicalisations mais aussi aux possibilités d’en sortir. Les chemins qui mènent à ces dérives sectaires doivent pouvoir être empruntés à rebours, et constituer une piste de réflexion, mais encore faut-il que les personnels de tous corps y soient sensibilisés ! Nous craignons donc, comme trop souvent, que l’administration ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Du côté des professionnels, nous savons que leur parole n’est pas valorisée et que leurs conditions de travail sont intenables. Pourtant, conditions de détention et conditions de travail sont intrinsèquement liées, et le statut spécial pénitentiaire qui musèle toujours les personnels renforce là aussi les logiques d’enfermement.
Alors qu’un moratoire de 5 ans pour la mise en œuvre du principe de l’encellulement individuel a encore été promulgué en toute fin d’année dernière, au détour du projet de loi de finances rectificatif pour 2014, on peut s’inquiéter des priorités que se donne le ministère pour véritablement changer la donne en prison.
Un focus est mis sur la prison comme si elle était le lieu où naissent de « futurs terroristes », or on sait qu’il s’agit d’un phénomène de société beaucoup plus global et que la prison n’en est que le miroir grossissant – voire déformant. Les personnes aujourd’hui soupçonnées de radicalisations sectaires ont toutes des trajectoires de vie, et il est fort possible que pour une grande majorité d’entre elles leurs dérives commencent avant la prison, se durcissent en prison, et se poursuivent une fois hors les murs…
Pour la CGT, il est donc réducteur d’en faire un phénomène uniquement pénal ; il est également social, et interroge prioritairement la politique de la ville et le traitement des quartiers dits « sensibles » ; il est également politique, et à affaire à tous les discours qui font commerce du rejet de l’autre, qui prospèrent sur le terreau des différences et de l’exclusion, et qui somment une partie des français de se montrer plus français que les autres !
Les pensées extrêmes, nous le savons, peuvent recouvrir de nombreuses réalités (racisme, antisémitisme, islamophobie, fascisme, etc.). L’amalgame avec la religion musulmane et la stigmatisation des personnes de culture ou de confession musulmane est une pente bien périlleuse. Aujourd’hui, un des aspects essentiels de la problématique de ces dérives sectaires – et malheureusement peu mis en avant et sur lequel aucune mesure n’est proposée – est celui du constat d’échec des politiques publiques pour lutter contre les inégalités sociales.
Comme rien ne sera fait pour donner les moyens nécessaires à la prévention, à l’éducation, pour redonner des perspectives et de l’espoir aux personnes victimes d’exclusion aussi bien dans la société qu’en prison, l’administration cède aux sirènes qui chantent les louanges de l’évaluation de la dangerosité et du renseignement. C’est ainsi que les services de renseignement de l’administration pénitentiaire vont être renforcés de 66 personnels, et que la PJJ se retrouve dotée d’une unité de veille et d’information.
Très récemment, et cette fois-ci pas en réaction aux événements puisqu’elles les ont précédés, plusieurs initiatives ont été lancées qui nous semblent bien hasardeuses. En région parisienne, une grille d’évaluation du « risque de radicalisation islamiste » a été diffusée aux chefs d’établissements et directeurs de SPIP. Un grand nombre d’items sont pour le moins emprunts de préjugés : « nie les faits objet de la condamnation ou de la prévention », « conteste l’incarcération », « rupture familiale », « refuse de se laver », « a modifié son apparence », … L’administration, qui se pare aujourd’hui des vertus de la recherche universitaire en matière d’évaluation des publics, ferait bien de retourner à ses – jeunes – études –, et comprendre ce que la littérature entend par « biais méthodologique. »
Ce type de grilles, dont l’administration attend que les SPIP alimentent le contenu notamment lors des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU), ne peut que favoriser les dérives en faisant du travail social une source de renseignement. Ces dérapages sont déjà monnaie courante dans le cadre du cahier électronique de liaison (CEL), dont les finalités sont détournées par l’administration pénitentiaire qui se sert des informations inscrites par les travailleurs sociaux et relevant de leur prise en charge pour nourrir le « renseignement pénitentiaire. »
En tant que professionnels, nous sommes amenés à faire des signalements ponctuels dans le strict respect du secret professionnel, mais ceci est bien différent de la dérive sécuritaire dans laquelle les SPIP seraient plongés si ces grilles étaient alimentées dans le cadre de nos accompagnements socio-éducatifs.
La CGT le dit et le répète ici : nous ne sommes pas des agents du renseignement – ni policier, ni judiciaire, ni pénitentiaire ! Nous sommes des professionnels qui savons quoi faire des informations qui nous sont délivrées par les justiciables, nous connaissons les obligations qui s’imposent à nous, et nous savons respecter le cadre de nos missions comme celui de l’institution.
Cependant, nous n’imaginons pas pouvoir travailler sereinement avec notre public si celui-ci nous perçoit comme de potentiels « indicateurs » à l’affût du moindre écart.
Au moment où les services, au travers des Règles Européennes de la Probation, semblent – un peu – retrouver du souffle, au moment où on tend à les replacer dans les missions qui ont toujours été les leurs, où on leur parle de « rapports positifs » avec les personnes suivies, « d’adhésion », « d’assistance et de soutien », de « relations personnelles qui jouent un rôle central », comment envisager de les intégrer pleinement aux services de renseignement ? Chacun son rôle, chacun sa place, car le mélange des genres qui résulte des esprits précipités a toujours reçu la méfiance de la CGT.
Une « recherche action » est également en cours pour un an avec plusieurs échéances, dont la première en mars, afin de construire à la fois des outils d’identification et des modalités de prise en charge en ce qui concerne la radicalisation en prison. Au fur et à mesure des avancées de cette recherche action seront mis en place des outils et des modalités de prises en charge qui n’attendront pas les travaux finaux. Nous nous interrogeons grandement sur ce type de démarche et sur le dévoiement de la notion même de recherche. A l’instar de la recherche action concernant l’évaluation par les SPIP, pour laquelle les leçons du « feu DAVC » n’ont pas été retenues et dont le cahier des charges est plus qu’orienté (par les grilles actuarielles du modèle Risques/Besoins/Réceptivité), cette initiative est davantage la caution de postulats déjà là, sans attendre les résultats de la dite « recherche ». La CGT se méfie en outre de ce nouveau « miracle technologique », et sait qu’aucun outil ne viendra remplacer la connaissance des publics et l’entretien individuel ; l’introduction de nouveaux outils ne se fait pas sans accompagnement ni sans formation sur ce qu’ils sont et sur leurs limites, et nous appelons donc à la plus grande précaution !
Des sessions de formation initiale et continue sur le thème de la radicalisation en prison sont en train de se développer. La CGT sera très attentive sur leur contenu et leur objectif. Il doit s’agir d’améliorer la connaissance de personnels sur les problématiques de nos usagers, et non de formater les professionnels pénitentiaires à l’utilisation de grilles d’évaluation de dangerosité. Par ailleurs, la CGT sera très vigilante à l’équilibre des offres de formation et aux moyens qui lui sont alloués. Les dernières années, nous avons vu des thématiques obligatoires et portées par l’administration absorber la majeure partie des budgets – déjà exsangues dans le domaine de la formation.
La formation est également un axe que le ministère souhaite renforcer à l’attention des aumôniers, en même temps que leur statut et leur rémunération. 60 aumôniers musulmans seront recrutés sur deux ans. Des rencontres et des échanges entre aumôniers de toute confession leur seront également proposés. Un déséquilibre entre les religions est effectivement à rattraper (183 aumôniers musulmans, pour 650 catholiques et 300 protestants) et des déserts sont à combler afin de garantir une égalité de traitement entre chaque détenu qui souhaite pratiquer sa religion.
Le Ministère nous dit vouloir prendre en compte les aspects de prévention et de prise en charge. Néanmoins, nous sommes loin d’être convaincus, et nous pensons que la balance penche largement pour les solutions sécuritaires.
Ne laissons pas nos métiers être dévoyés et ne renonçons pas, sous le coup de l’émotion, aux valeurs que nous défendons !
La CGT insertion probation ne lâchera rien sur ce terrain pas plus que sur d’autres !
Montreuil, le 28 janvier 2015