Monsieur le président,
Ce CT SPIP s’ouvre dans un contexte très particulier à plusieurs titres.
D’une part la situation sanitaire et sa gestion erratique amènent toujours et encore au constat de services et de personnels désorientés et épuisés.
http://www.cgtspip.org/wp-content/uploads/2021/05/mai-21-decla-liminaire-CT-SPIP-du-11-Mai-21.pdf
D’autre part, pour la 39e fois cette année, une femme est décédée sous les coups de son conjoint. L’émotion s’est emparée du pays face à l’horreur de ce nouveau féminicide. Si la CGT s’associe à cet effroi national ainsi qu’à la douleur de la famille et des proches de la victime elle apporte également tout son soutien aux collègues du SPIP de Bordeaux et à l’ensemble des personnels qui voient peser sur eux une pression médiatique mensongère, accusatrice et insécurisante pour les agent.es des SPIP alors que chaque récidive emporte en soi son lot de questionnements et d’inquiétude des professionnels que nous sommes.
La CGT IP déplore que la seule réponse apportée par l’administration ait été de diligenter une inspection pour rechercher les défaillances dans le suivi de cet homme. La CGT IP exige que l’administration pénitentiaire et le ministère de la justice se positionnent en soutien et en protection de ses agents durement éprouvés et touchés par un drame humain et ne s’associent pas une nouvelle fois à la recherche de boucs émissaires.
La CGT restera vigilante à ce que cette inspection n’ait pas pour seul objectif une récupération politique passant par un nouvel effet d’annonce accroissant encore les dispositions législatives encadrant l’exécution et l’application des peines. A chaque fait divers, aussi horrible soit il, la seule réponse est trop souvent à double niveau : pointer une responsabilité, quoi qu’il en coûte, pour satisfaire la vindicte populaire créée artificiellement ; et un amoncellement de dispositions législatives, prises à la hâte et sous le coup de l’émotion, sans jamais s’interroger sur les carences de l’État, notamment les moyens matériels et humains dévolus aux services de la Justice pour absorber les dispositions existantes et permettre d’avoir enfin un service public à la hauteur des attentes placées en lui.
La question des moyens, longtemps balayée par l’administration qui ne répondait que par « désorganisation » ou « méthodologie » reste pourtant centrale en 2021. La CGT rappelle ici à ceux qui la caricaturent bien souvent que c’est essentiellement ce biais qui avait été dénoncé en amont de l’élaboration du RPO 1 : la CGT revendiquait un investissement de la question des organigrammes et des missions de chacun, avant de terminer par les méthodologies. Mais cette question est déjà presque dépassée, puisque, sans vouloir jouer les Cassandre, les chiffres retenus par la DAP ( via la sous-direction de l’expertise) pour l’établissement des organigrammes de référence des CPIP seront obsolètes à la date butoir de 2024.
L’année 2024 devait être l’année du ratio à 1 CPIP pour 60 personnes suivies ; il est évident que nous n’y serons pas et que ce ratio restera un point lointain à l’horizon.
En effet, le déplacement du premier ministre, J. Castex, et du ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, le 20 avril à Lutterbach démontre une nouvelle fois, au travers de la poursuite du programme de construction de prisons[1] prévus par la loi de programmation 2018-2022 que la réforme pour la justice et l’efficacité de la peine ne vise que l’enfermement. Ce programme est bâti sur une hypothèse de 80 000 détenus en 2027. Au 1er avril, il y avait 65 126 détenus hébergés[2], sans compter les 14 662 personnes sous DDSE[3].
Cet objectif illustre combien la logique française est non pas de réduire le recours à l’emprisonnement ou d’en améliorer les conditions mais bien d’incarcérer toujours plus.
Cette dynamique persistante et incompréhensible trouve encore écho dans l’augmentation fulgurante du nombre de personnes détenues entre juillet 2020 (et le seuil historiquement bas dont tout un chacun se félicitait à juste titre), et le mois d’avril 2021 : plus de 6 400 personnes ont été écrouées, soit une hausse de près de 10%.
L’hypothèse retenue deviendra donc une réalité bien avant 2027 et les effectifs en SPIP seront largement sous-estimés, une fois de plus.
Ce phénomène, vous le connaissez tous, et c’est celui qui est à l’œuvre au centre pénitentiaire de Nancy dont nous devons aborder ce jour la transformation. Cette modification illustre parfaitement l’enracinement de l’AP dans la pure gestion de flux : la prison compte ses places, comme l’hôpital compte ses lits, sur le dos de l’ensemble des personnels comme sur celui des usagers. Et la question de la place prend ici un double sens : alors que le ministère calcule ses places (de prison), la CGT vous interroge : quelle place pour le SPIP ?
Nous voici entrés plus précisément sur le fond de ce CT SPIP, et la CGT IP se questionne, une fois encore, sur la définition du « dialogue social » pour l’administration pénitentiaire. En effet, la DAP a pris l’habitude de proposer un ordre du jour extrêmement réduit, soit la métaphore des priorités que se donne la DAP versus celles des terrains. La CGT l’abonde des mêmes demandes de CT en CT, et l’administration esquive de CT en CT.
Pour couronner le tout, les O.S ont appris en dehors de tout dialogue social qu’une convention de partenariat avait été signée en catimini entre la DAP, la PJJ et l’ATIGIP actant ainsi l’arrivée d’une nouvelle profession pour occuper la fonction de RT TIG : les éducateurs PJJ.
Cette ouverture entraîne de fait la transformation de la fiche de poste initiale des référents en dehors de tout contrôle par ce comité technique dont c’est pourtant une des prérogatives. A croire que la DAP aime à tester notre goût du recours.
La CGT IP constate depuis le début de ce mandat que l’administration a abandonné toute volonté de dialoguer et préfère multiplier les groupes de travail sans y associer les OS représentantes des personnels pour donner un semblant de légitimité au plan d’action qu’elle déroule unilatéralement.
Sachez que la CGT IP ne capitulera pas et ne cessera d’occuper la place qui est la sienne pour défendre les intérêts des personnels, et leurs missions.
C’est donc avec intérêt, mais aussi avec une certaine circonspection que nous attendons un premier bilan de la loi précédente, la LPJ, alors qu’une nouvelle loi pour la confiance en la Justice est débattue au parlement. Les réformes s’empilent au gré des lubies de chaque Garde des Sceaux, sans tirer les moindres conclusions des précédentes, ajoutant ainsi complexité et incohérences inutiles.
La CGT IP dénonce avec force depuis des années le toujours plus carcéral, voie sans issue, et indigne d’une société éclairée. La France ne peut pas se targuer de mettre en œuvre des politiques faisant que la peine d’emprisonnement ne soit plus la peine de référence et dans le même temps s’engager ainsi dans une politique de massification des incarcérations.
[1]Jean Castex s’engage sur les 15 000 places de prison supplémentaires (lemonde.fr)